Des récits d'annonce messianiques particuliers : les évangiles de l'enfance de Jésus (1ère partie)

Publié le 26 Décembre 2014

Les récits de l'enfance de Jésus, que l'on dénomme évangile de l'enfance, constitue les deux premiers chapitres des évangiles de Luc et de Matthieu, qui des trois évangiles synoptiques, ont le plus de point commun. Mais leurs récits divergent ici car leurs propos n'est pas le même. Ce sont, en effet, des récits de foi, résultant d'un long processus de composition et de l'organisation sociale et spirituelle de leurs communautés toutes issus de la Diaspora juive au sein de l'empire romain. Ce ne sont donc pas des récits historiques, mais ils montrent la croyance des communautés, auteures de ces évangiles de l'enfance, en l'implication de Dieu dans l'histoire de l'humanité, et en particulier dans la naissance de Jésus, le Messie (cette état d'esprit se retrouve dans la généalogie de l'évangile de Matthieu, qui veut démontrer l'ascendance davidique de Jésus - que j'étudierais après les traditions de la nativité).

C'est ce long processus qui va nous intéresser et à travers lequel nous verrons que celui-ci est le fait d'un contexte et d'une communauté à une période précisé qui aboutira dans les années 80-90 aux récits développés que l'on connaît aujourd'hui.

I - Une réponse à l'enseignement de Paul :

L'origine des quatre évangiles est vu par les différents exégètes comme un long processus de rassemblement au sein d'une communauté après la disparition des disciples qui avait besoin de garder la mémoire de Jésus. Mais il est probable que les sources les plus anciennes des évangiles aient vu le jour dans un contexte bien particulier.

1) « la fin de la loi, c'est le Christ » (Romains 10, 4) :

En effet, c'est le débat entre 48 et 52 sur la circoncision des païens convertis par les missions de la communauté (ecclésia, équivalent grec de synagogue) d'Antioche - il n'y a probablement pas eu que Paul et Barnabé -, au Judaïsme apocalyptique des nazoréens, qui ont pris le nom de chrétiens en 40 à Antioche, suite à leur soutien aux tentatives des Juifs contre l'élévation d'une statue dans le Temple e Jérusalem de Caligula.

a) Une interprétation personnelle de Paul :

Une solution fut trouvée à Jérusalem en 52 lors d'une réunion des frères de Jésus, des apôtres et des anciens, avec une délégation de la communauté d'Antioche, composée de Paul et Barnabé, « avec quelques autres frères » -ce qui suggère que l'enseignement des deux missionnaires ne faisaient pas l'unanimité. C'est celle de Jacques, frère de Jésus, l'évêque de Jérusalem et régent en son absence, qui fut privilégié : « L'Esprit Saint et nous-mêmes, nous avons en effet décidé de ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables : vous abstenir des viandes de sacrifices païens, du sang, des animaux étouffés et de l'immoralité. Si vous évitez tout cela avec soin, vous aurez bien agi. » (Actes 15, 28-29.) Une solution de compromis qui pouvait permettre les repas en commun et la vie avec les païens pour les juifs membres de la communauté. Et, si l'on suit Galates 2, 9, les « colonnes », Jacques, Céphas (Pierre) et Jean, donnèrent aussi « la main, à moi (Paul) et à Barnabas, en signe de communion, afin que nous allions, nous vers les païens, eux vers les circoncis. » Rite, identique à celui qui fut fait pour les diacres, chefs du groupe helléniste, et qui signifie qu'ils leur délèguent une partie de leurs pouvoirs, mais en tant que délégués de l'église d'Antioche, pas en leur nom propre, comme le suggère Paul.

Et, Pierre les accompagna à Antioche, où il fit la communauté de table avec l'ecclesia d'Antioche, mais ce qu'il ne savait pas c'était que Paul avait une définition toute personnelle de cette dernière : « Tout ce qu'on vend au marché (où l'on trouvait aussi des viandes sacrifiées aux idoles, ou non étouffées), mangez-le sans poser de question par motif de conscience ; car la terre et tout ce qu'elle contient sont au Seigneur. Si un non-croyant vous invite et que vous acceptiez d'y aller, mangez de tout ce qui vous est offert, sans poser de question par motif de conscience. » (1 Corinthiens 10, 25-27.) Donc un non respect évident des règles imposés par la déclaration de l'ecclésia de Jérusalem. Prévenu par les envoyés de Jacques, Pierre et Barnabé, qui est un lévite, refusèrent de continuer les repas commun qui violait leur conscience de pratiquant juif, et comme l'a très bien fait remarqué Hyam Macoby (Paul et l'invention du christianisme, Lieu commun, 1987) n'était donc pas en tort. Paul s'en plaint devant l'ecclesia d'Antioche, mais il fut mis en minorité, Barnabé ne le soutenant pas. D'ailleurs, Pierre semble être resté sur place pour réorganiser la communauté et mettre en place le compromis décidé à Jérusalem avec un tel succès que Paul coupe les ponts avec son ecclésia en se séparant de Barnabé car dorénavant pour garantir la validité de leur enseignement, il veut emmener avec eux Jean surnommé Marc, proche des frères de Jésus.

Il décide alors de retourner vers les communautés qu'ils ont fondé puis il va répandre la bonne nouvelle et organiser des communautés en Syrie, Phénicie, Asie Mineure et Grèce, c'est-à-dire tout le long de la côte de la Méditerranée, entre 52 et 58, sans mandat ni des frères de Jésus ni des 12, chefs de l'ecclésia de Jérusalem, ni de l'ecclésia d'Antioche, à qui a été remis la charge de convertir les « incirconcis ». Cette dernière, derrière ses nouveaux chefs, Pierre et Barnabé, va donc, tel que le suggère Jérôme Murphy O'Connor (Histoire de Paul de Tarse. Le voyageur du Christ, Cerf, 2004) commencer à s'intéresser à l'enseignement de cet infatigable voyageur, qu'il a eu le temps de relayer à Antioche en plus de sa vision de la communauté de table. Celle-ci s'écarte très fortement de celui des disciples directs de Jésus au sujet de la Torah, qui eux ont connu Jésus : « Avant la venue de la foi, nous étions gardés en captivité sous la loi, en vue de la foi qui devait être révélée. Ainsi donc, la loi a été notre pédagogue, en attendant le Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi. Mais, après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce pédagogue. Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. » (Galates 3, 23-26) Donc pour lui, « la fin de la loi, c’est Christ, pour que soit donnée la justice à tout homme qui croit. » (Romains 10, 4.) Ce qui fait que « l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ ; nous avons cru, nous aussi, en Jésus Christ, afin d’être justifiés par la foi du Christ et non par les œuvres de la loi, parce que, par les œuvres de la loi, personne ne sera justifié. » (Galates 2, 16.) On comprend dès lors les oppositions que l'on déguise lors de leurs missions entre Paul et Barnabé et que l'incident d'Antioche vient d'exposer au grand jour.

L'ecclésia d'Antioche se doit donc de réagir à un homme qui prétend avoir reçu des « colonnes » une délégation personnelle au même titre que Barnabé, alors qu'en réalité il l'a reçu en tant que délégué de cette dernière, qui se sent responsable des erreurs de son ancien membre au sein des communautés fondés en son nom et en son nom propre, profitant de l'aura de la décision de l'ecclésia de Jérusalem.

b) Surveillance des communautés pauliniennes :

Le succès de Paul au sein de la sphère des sympathisants païens du Judaïsme avaient de quoi inquiéter.

L'exemple du Jésus historique n'intéressait pas Paul, comme il l'avoue lui-même : « Si nous avons connu le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Aussi, si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. » (2 Corinthiens 5, 16.) Alors que ce dernier était la base de l'enseignement donné jusque-là par l'ecclésia de Jérusalem puis celle d'Antioche. Un seul l'intéresse, Jésus Christ ou le Christ ressuscité, « établi, selon l’Esprit Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d’entre les morts, Jésus Christ notre Seigneur » (Romains 1, 4) qui « lui est aussi apparu » (1 Corinthiens 15, 8), à lui qui a « persécuté l'ecclésia de Dieu », ainsi qu'il dénomme la communauté chrétienne. Si bien que de son point de vue, il est devenu, au même titre que les disciples directs de Jésus, « apôtre » (1 Corinthiens 9, 1), pour qu'il annonce que tous les hommes « sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ. C’est lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi, pour montrer ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois » (Romains 3, 24-25). Donc ce n'est plus la pratique de la Torah, donc des « œuvres » qui offre le salut, mais la foi au seul Jésus Christ, qui, pour lui, n'était pas un homme mais un être de « condition divine » que Dieu a envoyé « dans la condition de notre chair de péché » (Romains 8, 3), « semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme » (Philippiens 2, 6-7) pour « condamné le péché dans la chair » (Romains 8, 3). On peut comprendre que les frères de Jésus et les 12, qui ont bien connu Jésus, aient été choqués par un tel enseignement venant d'un homme qui ne reconnaissait pas leur autorité ni leur vécu avec celui qu'il considérait comme le Messie promis à Israël : « Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? N’ai-je pas vu Jésus, notre Seigneur ? N’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur ? » (1 Corinthiens 9, 1.)

Il faut donc réorganiser les communautés pauliniennes avant que ces dernières ne se détourne de la source même de l'enseignement de Jésus, la Torah, qui, pour lui et ses disciples étaient source de salut au même titre que la Résurrection de Jésus, tel que peut en attester une lecture attentive de l'Épître de Jacques, écrite entre les années 80 et 90, où l'on retrouve les réponses des communautés nazoréenne à l'enseignement des communautés pauliniennes. Ce qui dans le cas des convertis païens se fera par le compromis de Jérusalem. Et là aussi les missions, envoyés par l'ecclésia d'Antioche, connaissent beaucoup de succès. On apprend, à travers la lecture des épîtres pauliniennes (1 Corinthiens 1, 12), que Pierre s'y investi également, ce qui a augmenté probablement leur réussite, car, en tant que témoins de la prédication de Jésus, il était en mesure de contredire l'enseignement de Paul, qui le prendra d'ailleurs très mal : « Mais, en ce qui concerne les personnalités – ce qu’ils étaient alors, peu m’importe : Dieu ne regarde pas à la situation des hommes » (Galates 2, 6 ) ; « Ces gens-là sont de faux apôtres, des faussaires camouflés en apôtres du Christ ; rien d’étonnant à cela : Satan lui-même se camoufle en ange de lumière » (2 Corinthiens 11, 13-14). Au point qu'il réponde vertement à la communauté qu'il a fondé en Galatie : « J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un évangile différent. » (Galates 1, 6.)

Un succès qui n'est pas du qu'à la présence des disciples de Jésus parmi les missionnaires, envoyés par l'ecclésia d'Antioche, maintenant dirigé par Pierre et Barnabé, mais aussi pour aussi pour tous les missionnaires itinérants délégués par elle qui ne l'ont pas connu à travers probablement la mise par écrit entre 52 et 58 de la prédication des disciples mais pas encore sous une forme regroupé à l'image des quatre évangiles et pouvaient permettre d'offrir un modèle de vie à travers l'exemple de Jésus. Ils circulaient sous forme de livrets où étaient rassemblés, les dits de Jésus, tel le document Q, qui a probablement vu le jour en Galilée au cours de cette période, ses miracles, le récit de sa mort, des récits épars de sa résurrection des sommaires de son itinéraire. Leur contenu consistait à démontrer que Jésus était un pratiquant de la religion juive rigoureux qui n'avait jamais eu l'intention d'abolir la Torah : « Ne croyez pas que je suis venu nier la Torah et les Prophètes : je suis venu les mettre en application » (Matthieu 5, 17) ; « il est plus facile au ciel et à la terre de passer qu'à un iota ou à un shérif de la Loi de tomber » (Q 16, 17) ; « Celui qui ignore le " moindre " des commandements sera jugé " moindre " parmi ceux du Royaume de Dieu » (Matthieu 5, 19).

Et quelle meilleure manière de démontrer que Jésus a été un juif rigoureux que de le faire en montrant que la famille de Jésus était pratiquante et qu'il a donc suivi tous les préceptes de la loi juive dès sa naissance. On peut donc penser que des sommaires ont circulé qui seront à l'origine des évangiles de l'enfance de Matthieu et de Luc.

2) Jésus était juif dès le berceau :

Ces sommaires étaient de deux sortes : d'abord, ceux s'adressant à une communauté qui semble bien connaître Jésus sans qu'on ait besoin de préciser de détails superflus ; ensuite, ceux, où le Jésus humain pouvant être contestée, on développe les circonstances de sa naissance et de son enfance pour démontrer qu'il a toujours été un juif pratiquant.

a) Des circonstances de naissance bien connu :

Le premier sommaire se trouve dans l'évangile de Matthieu. Il est très facile à retrouver une fois dépouillé du récit d'annonce de la naissance de Jésus à Joseph produit par la communauté de l'évangéliste dans un autre contexte.

Il se présentait ainsi :

« Marie, sa mère, fut fiancée à Joseph ; il prit chez lui son épouse, et elle lui enfanta son fils premier-né, et il l'appela du nom de Jésus. » (Matthieu 1, 18, 24-25.)

Il y a très peu de détails, les parents de Jésus y sont nommés sans autre précision, et on n'explique pas les procédures de fiançailles juives, car ces faits semblent être connus de ceux à qui il s'adresse. C'est donc une communauté qui a vu le jour au sein de la Diaspora juive, et probablement au sein d'un groupe qui connaissait les disciples et les frères de Jésus, ce qui explique que Marie et Joseph n'y soit que nommé sans autre précision sociale que leur paternité. D'ailleurs rien d'étonnant à cela : le père de Jésus porte un nom très commun chez les Juifs de cette période, qui est celui de l'un des douze fils du patriarche Jacob, et la mère de Jésus « s'appelait Marie, Myriam en hébreu, qui était aussi un nom courant à cette époque. Bien que nous ne connaissons que peu de nom de femmes de l'Antiquité (...), Flavius Josèphe mentionne huit femmes du nom du nom de Myriam. Toutes tiraient le nom de la première d'entre elles, qui n'étaient autre que la sœur de Moïse » (David Flusser, Jésus, Editions du Seuil, Paris, 1970). Et qu'il n'y a aucune mention de leur lieu d'origine, le bourg de Nazareth en Galilée, peut-être parce que tout le monde au sein de la communauté où ce récit était écrit connaissait le surnom que l'on avait donné à Jésus, le « Nazarénien », qui signifiait qu'il était originaire de ce bourg. L'ecclésia d'Antioche semble être un choix intéressant, car cette dernière a été réorganisé par Pierre en 52.

Ce peu de détails démontrent aussi qu'ils semblent être une réponse au trouble que Paul avait jeté au sein de l'ecclésia en disant que Jésus était venu abolir la Torah. Ceux-ci présentent donc une famille juive pratiquante, respectant les traditions juives dès leurs fiançailles, et s'adresse à des gens qui les connaissent bien, et parmi eux aussi les païens convertis qui fréquentaient la synagogue :

1) « Marie (...) fut fiancée à Joseph » (Matthieu 1, 18) :

ceux qui lisait le terme « fiancée » comprenait qu'il avait un sens plus fort à l'époque qu'aujourd'hui, puisqu'il signifiait, comme l'a très bien traduit la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) « accordée en mariage » pour la future mariée, qu'on ne devait pas tarder à marier de peur qu'elle ne se livre à la débauche (Sanhédrin 76a). Les âges des deux époux devaient être assortis. En effet, tel que le rapporte le docteur en théologie et professeur honoraire à l'Institut catholique de Paris, Charles Perrot, les filles « étaient mariées entre douze et quinze ans (nubile ou pas) et les garçons n'étaient guère plus vieux » (ces derniers entre 15 et 18 ans, âge légal dans le Talmud) (Pirké Aboth, V, 21). D'autant que l'espérance de vie était plus courte entre 40 à 45 ans pour les femmes et les hommes, et signifiait donc qu'il fallait se marier tôt pour avoir le plus de chance d'avoir des enfants à une époque où la mortalité en couches et infantile étaient importantes. En effet, les fiançailles n'avait rien de romantique, étant la base de mariage arrangé à travers un contrat (Ketubah) entre les familles des deux futurs époux, voire si son père est mort, le futur « fiancé», qui avait souvent charge de la famille, et entre la famille de la future « fiancée » avec le futur « fiancé», résultat d'une négociation financière (dont le total s'appelait le Mohar) qui avait dans le Judaïsme la valeur du mariage lui – même, raison pour laquelle Marie est qualifié d'« épouse » dans le verset 24. Ce contrat avait pour but d'éviter la dispersion des biens, le père recherchant un parti pour sa fille dans sa parenté et le même milieu social, qui ne sera jamais évoqué ici, probablement parce que ce à qui était destiné ce sommaire connaissait la profession de son père, tekton, qu'il serait plus juste de traduire non par charpentier mais par artisan en bâtiment ou construction. Et cela facilitait les fiançailles, car les fiancés se connaissaient, et devait se rencontrer au moins avant les fiançailles (Kidduschin 41a), afin de faciliter l'acceptation de la fille qui pouvait refuser le choix de son père si elle avait atteint l'âge de 13 ans, étant devenu majeure, ce qui était moins compliqué avant qu'elle soit majeure (entre 12 ans et 12 ans et 6 mois). Pour ceux qui auraient vu le film Ben Hur de William Wyler, sorti en 1959, cette pratique est évoqué par Esther qui dit avoir rencontré son futur fiancé une fois avant son futur mariage, organisé par son père.

2) « il prit chez lui son épouse » (Matthieu 1, 24) :

la phrase a elle aussi un sens plus fort à l'époque car elle désigne la cérémonie de mariage qui est qualifié dans le Talmud, de « réception » ou « introduction de l'épouse » (dans la maison de l'époux). En effet, un an après avoir établi le contrat de fiançailles, les parents de la future épouse l'amenaient dans la maison de son futur époux, ou sinon c'est ce dernier qui venait la chercher si les parents de la fiancée lui donnait leur accord. Dès le premier jour le mariage était consommé, car, après le festin, le mari était conduit par ses amis (« les amis de l'époux » ou « les fils de l'époux », que l'on retrouve dans Matthieu 9, 15) dans la chambre nuptiale où sa femme l'avait précédé, puis le nouveau marié sortait de la chambre pour annoncer aux invités : « notre mariage est consommé! », validant ainsi le contrat de fiançailles. Ce qui semble avoir été le cas pour Marie et Joseph. En effet, comme le précise Flavius Josèphe : « La loi ne connaît qu’une seule union, l’union naturelle de la femme, et seulement si elle doit avoir pour but de procréer » (Contre Apion, Livre II, 24), ainsi que l'indique que le premier commandement de la Torah : « Croissez et multipliez » (Genèse 1, 28). Et fortement encouragé par un devoir d'obligation conjugale : « Il ne privera sa femme ni de nourriture, ni de vêtement, ni de droit conjugal » (Exode 21, 10). Au point qu'un groupe d'esséniens, avaient accepté des femmes parmi eux, car ils pensaient « que renoncer au mariage c'est vraiment retrancher la partie de la vie la plus importante, à savoir la propagation de l'espèce ; chose d'autant plus grave que le genre humain disparaîtrait en très peu de temps si tous adoptaient cette opinion. » (Guerre des Juifs, II, 8, 13.) Donc, il y a peu de chances comme l'exprime le récit actuel de l'évangile de Matthieu que Joseph n'est pas connu sa femme jusqu'à la naissance de Jésus. L'annonce de la consommation donnait alors lieu à une fête qui durait 7 jours pour les parents et amis des nouveaux mariés, 7 jours de réjouissances, appelés les « sept jours du repas de noces », parait-il avec plus de décorum en Galilée qu'en Judée (Toseftah, ch. I).

3) « elle lui enfanta son fils premier-né, et il l'appela du nom de Jésus. » (Matthieu 1, 25) :

la paternité de Joseph n'était pas un problème au sein de l'ecclésia d'Antioche comme elle l'est aujourd'hui pour les chrétiens actuels, car c'était par le père que se faisait l'ascendance, ce que montre Romains 1, 3 : « son Fils, issu selon la chair de la lignée de David ». Et cela est attesté dans la traduction en syriaque – c'est – à – dire en araméen – de l'évangile de Matthieu, retrouvé dans le Codex Sinaïticus, au verset 16 : « Joseph, à qui avait été fiancée (la vierge) Marie, engendra Jésus », et 21 : « Marie, ton épouse, t'enfantera un fils ». Et explique que dans la traduction de l'évangile de Matthieu de Baal Shem Tov et du Codex de Bèze, on dise que Jésus était le « fils premier-né », l'« être sorti le premier du sein maternel » (Exode 13, 2 et 13, 12, cf. aussi Nombres 3, 12-13 et 18, 15-16), donc leur premier enfant. On n'évoque pas sa circoncision 8 jours après, ce qui suggère qu'au sein de la communauté d'ascendance juive c'était un fait tellement établi qu'on n'avait pas besoin d'en parler. On pense que c'est à ce moment là qu'était choisi le nom de l'enfant - j'en expliquerai la raison plus bas. À l'époque, il était une coutume assez répandue de donner à un enfant juif le nom de son père, encore vivant.

Le nom choisi pour l'enfant fut Jésus, qui se prononçait Yeshua, ce qui signifiait « Dieu sauve », mais la prononciation galiléenne était surement Yeshu, ce qui a donné en grec, Iêsous, qui servait déjà dans la Septante à désigner le successeur de Moïse, Joshuah (Josué), et a donné notre Jésus actuel. Mais il ne démarquait en rien son porteur, comme aujourd'hui : « À cette époque, " Jésus " était un des noms juifs les plus répandus. L'historien juif de l'Antiquité, Flavius Joséphe, mentionne, par exemple, vingt hommes portant ce nom. Le premier est le Joshuah (Josué) de la Bible, le successeur de Moïse, qui conquit la Terre Sainte. Mus par un respect religieux emplis de crainte, les anciens juifs évitaient d'utiliser certains noms bibliques importants, tels David, Salomon, Moïse et Aaron. Et il est bien possible que le nom Yeshua - Jésus - ait connu une grande popularité à cette époque dans la mesure où il pouvait se substituer à celui de Moïse. » (David Flusser, Jésus, Editions du Seuil, Paris, 1970). D'après John P. Meier (Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire. Vol. 1, Les sources, les origines, les dates, éditions du Cerf, 2004), ce désir de refléter l’époque patriarcale et l’Exode par le nom, tels que le montre celui des parents de Jésus, daterait plutôt du IIe siècle avant J. - C., à l’époque des frères Maccabées et de la montée du mouvement nationaliste qui s’opposait à la tentative d’acculturation des Grecs. Cette renaissance juive était surtout forte dans les petites villes et dans les milieux ruraux, comme en Galilée, qui la refusait. Le symbolisme de cette dénomination démontre que les parents de Jésus étaient donc ce qu'on pourrait appelés des « patriotes » juifs, dont le règne d'Hérode Ier le Grand, un demi-juif, ami de l'empereur Auguste, avaient exaspéré les attentes messianiques, à l'image de l'auteur de L'Assomption de Moïse.

Ce sommaire a pu rassurer les membres de l'ecclésia d'Antioche, que l'enseignement de Paul avait décontenancé : « ton enseignement pousserait tous les Juifs qui vivent parmi les païens à abandonner Moïse ; tu leur dirais de ne plus circoncire leurs enfants et de ne plus suivre les règles. » (Actes 21, 21.) Et qui avait créé une division que démontre le problème des tables communes. Les missionnaires leur montraient en effet un Jésus pleinement juif, né sous le sceau de la Torah.

Mais si ce sommaire pouvait suffire à un public en contact direct avec l'ecclésia de Jérusalem, ce n'était pas le ca pour ceux qui se trouvait en dehors de cette zone, ce qui obligea les missionnaires itinérants à développer un sommaire plus spécifique à un nouveau type de convertis, celui lucanien.

Rédigé par paroissiens-progressistes

Publié dans #Culture biblique

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