Pédocriminalité dans l'Église : ce qu'il faut retenir du rapport de la commission Sauvé, qui livre un état des lieux accablant pour l'institution
Publié le 5 Octobre 2021
francetvinfo.fr avec l’AFP nous montre que c'est un choc sans précédent dans l'Église catholique. La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), présidée par l'ancien vice-président du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé, a présenté publiquement son rapport de 485 pages et 2000 d'annexes, mardi 5 octobre à Paris. Elle révèle notamment l'ampleur du nombre de victimes de violences sexuelles depuis 1950, évaluée à 330 000. Son "estimation minimale" fait aussi état de 2900 à 3200 prédateurs sexuels masculins depuis 1970, parmi les prêtres et les religieux.
Le rapport évalue à 216 000 (avec une marge de plus ou moins 50 000) le nombre de personnes de plus de 18 ans ayant fait l'objet de violences ou d'agressions sexuelles pendant leur minorité de la part de clercs ou de religieux catholiques en France de 1950 à 2020. Le nombre de victimes grimpe à "330 000 si l'on ajoute les agresseurs laïcs travaillant dans des institutions de l’Église catholique" (aumôneries, écoles catholiques, mouvements de jeunesse), ajoute Jean-Marc Sauvé. "Ces nombres sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite", commente-t-il. "Ces violences sur mineurs représentent 4% des violences sexuelles en France, si on prend uniquement celle des clercs et des religieux, et 6% si on prend en compte les laïcs." Ces estimations reposent sur une étude en population générale menée auprès de 30 000 personnes, dirigée par l'Inserm et l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Les abus commis par des clercs et des religieux concernent "massivement des enfants de sexe masculin, des garçons, qui représentent près de 80% des victimes, avec une concentration entre 10 et 13 ans", précise Jean-Marc Sauvé. "Il est probable que, dans le cas des prêtres, étant davantage au contact de garçons, un effet d'opportunité ait joué. Mais il ne saurait expliquer à lui seul des disparités aussi fortes [entre les filles et les garçons] et une particularité aussi nette de l’Église catholique." Le nombre de prédateurs depuis 1950 est évalué entre "2900 à 3200" hommes, prêtres ou religieux, affirme le rapport. Mais il s'agit d'une "estimation minimale", réalisée à partir d'un appel à témoignages ouvert durant dix-sept mois – qui a permis de recueillir 6500 appels et contacts de victimes ou proches – et un travail de recherche dans les archives des diocèses et institutions religieuses. Ces chiffres "peuvent et doivent se comparer aux chiffres étrangers", notamment d'Allemagne, d'États-Unis, d'Australie et d'Irlande. "Si une incertitude existe, elle existe plus au niveau du nombre évalué des auteurs de violences qu'au niveau du nombre des victimes", a commenté Jean-Marc Sauvé, compte tenu des difficultés pour collecter les témoignages oraux et écrits.
Plus de la moitié (56%) de ces violences identifiées ont été commises dans les années 1950 à 1969. Leur nombre a diminué dans les années 1970 à 1990, avant de se maintenir à leur niveau, analyse le rapport de la Ciase. "Cette baisse doit être aussi mise en relation avec la baisse des effectifs des prêtres et des religieux", complète Jean-Marc Sauvé, "et aussi la baisse de la fréquentation des institutions de l’Église catholique dont l'empreinte sociale s'est réduite au fil des décennies". Le taux de prévalence donne une évolution similaire. "Nous sommes sur un plateau. Il faut se départir de l'idée que les violences sexuelles dans l'Église catholique ont été complètement éradiquées, que le problème est derrière nous. Le problème subsiste."
Le rapport émet 45 recommandations, dont la reconnaissance de la responsabilité de l'Église "dans ce qui s'est passé, à tout le moins pour les personnes vivant dans notre pays et ayant subi des agressions sexuelles." Mais Jean-Marc Sauvé évoque surtout l'indemnisation des victimes. "Il faut réparer, dans toute la mesure du possible, le mal qui a été fait. Cela implique a minima la reconnaissance de la qualité de victime des personnes, par une institution indépendante mise en place par l’Église." La commission juge cette option préférable à un allongement des délais de prescription, "qui ne peut engendrer que des douleurs pour les victimes". Nombre d'entre elles sont tombées sous la prescription, fixée à trente années après la majorité de la victime, soit jusqu'à ses 48 ans. La commission estime que la procédure pénale canonique doit être ouverte aux victimes, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Par ailleurs, le secret de la confession "ne peut être opposé à l'obligation de dénoncer des atteintes graves sur mineurs ou personnes vulnérables", recommande Jean-Marc Sauvé. Il prône également des entretiens annuels dans l'Église catholique, "avec des traces écrites", et une meilleure formation des religieux. "Il faut d'abord réformer le droit de l'Église, qui n'a pas contribué au traitement approprié des violences et agressions sexuelles", poursuit Jean-Marc Sauvé. La commission dit avoir "pris acte" de la réforme du droit canonique qui doit entrer en vigueur le 8 décembre prochain. Les agressions sexuelles passeront notamment de "la catégorie des offenses à la chasteté à la catégorie des atteintes à la vie et à la dignité des personnes. C’est un premier pas".
"Nous n’avons pas cessé d’interagir avec les structures publiques qui interviennent dans le domaine de la maltraitance", plaide Jean-Marc Sauvé. "Bien entendu, à chaque fois qu’ont été portés à notre connaissance des agissements susceptibles de tomber sous le coup de l'article 434.1 ou 434.3 du Code pénal, nous avons fait des signalements au parquet." Le président de la Ciase évoquait ainsi le nombre de 22 saisines pour des faits non prescrits, dimanche, dans un entretien au JDD (article abonnés). Il expliquait également avoir saisi "des évêques ou des supérieurs majeurs de congrégation" dans plus de 40 dossiers, "pour les informer d'infractions prescrites dont l'auteur est toujours vivant".
"Il ne peut y avoir d'avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation", a conclu Jean-Marc Sauvé, avant de remettre le rapport aux mains d'Éric de Moulins-Beaufort, président de la conférence des évêques de France. Celui-ci a exprimé "sa honte", "son effroi" et a demandé "pardon" aux victimes de pédocriminalité. "Il a invité les catholiques à lire ce rapport, à le lire avec nous." "Mon désir en ce jour est de vous demander pardon, pardon à chacune et chacun", a déclaré Eric de Moulins-Beaufort. Il assure que les évêques vont "consacrer du temps" à sa lecture. "Que dire, sinon éprouver (...) une honte charnelle, une honte absolue", a commenté Véronique Margron, la présidente de la Corref (instituts et ordres religieux). Face à cette enfance qui a été "violentée", face à une "telle tragédie" et face à ces "crimes massifs commis dans (son) église", elle a exprimé son "chagrin".
"Nous passons le témoin aujourd'hui à l'Église et à la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Civiise)", a déclaré Jean-Marc Sauvé, annonçant la fin des travaux de sa commission. Les premières réponses de la Conférence des évêques de France et de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) seront annoncées en novembre, date à laquelle les deux institutions se réuniront en assemblées plénières. L'épiscopat a pris des mesures au printemps, promettant non pas des réparations mais un dispositif de "contributions" financières, versées aux victimes à partir de 2022, qui ne fait pas l'unanimité chez ces dernières ni chez les fidèles, lesquels sont appelés à contribuer aux dons.
"Je connais les chiffres depuis vendredi, je suis rentré dans un état de deuil. Je suis sous le choc", a réagi mardi 5 octobre sur franceinfo (https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/pedocriminalite-dans-l-eglise-je-suis-sous-le-choc-mon-coeur-pleure-en-moi-declare-un-pretre-lanceur-d-alerte_4795689.html) le père Pierre Vignon, prêtre au diocèse de Valence, le premier homme d'Église à avoir demandé la démission du cardinal Barbarin dans le cadre de l'affaire Preynat. "J'ai reçu un coup de gourdin sur la tête parce que j'ai beau accompagner des victimes depuis une vingtaine d'années, je ne pouvais pas imaginer de tels chiffres. On reste sans voix, on pense aux victimes. Mon cœur pleure en moi", assure-t-il. "Cela va être très dur pour les évêques, confie le père Vignon. C'est à eux d'assumer en premier. Cela implique d'abord la réforme de l'épiscopat." "C'est maintenant le moment pour les fidèles de s'exprimer fortement, poursuit le père Vignon. Parce que s'il n'y a pas cette forte demande des fidèles, cela ne va pas marcher. Ce qui est important, c'est qu'il y ait un comité de suivi. Un comité de suivi des victimes mais aussi des fidèles."
Dans un communiqué signé par les collectifs Comme une mère aimante, Collectif 85, Foi et Résilience, Sentinelle, Victimes-Aumônerie du lycée d’Enghien-Les-Bains, ainsi que par François Deveaux, l’un des fondateurs de La Parole libérée, ils «saluent ce travail immense» qui «a permis d’établir avec certitude, précision et rigueur la réalité des faits». «Ces crimes, qui ont touché des mineurs et des majeurs, écrivent-ils, ne pourront désormais plus être ni contestés ni minimisés.» Ils demandent maintenant, ensemble, à l’Eglise catholique, de «mettre en œuvre des réformes structurelles». «Nous attendons que les évêques et responsables religieux de tous niveaux respectent et appliquent chacune des préconisations de la Ciase, commission d’enquête qu’ils ont eux-mêmes suscitée, écrivent-ils. Le temps n’est plus aux paroles qui n’engagent que ceux qui les écoutent et qui dispenseraient l’Église et ses représentants de les traduire en actes !» (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/05/violences-sexuelles-dans-l-eglise-des-associations-de-victimes-reclament-l-application-des-preconisations-de-la-ciase_6097199_3224.html).
Parallèlement, un collectif d’associations de victimes avait déjà lancé, samedi, une pétition – «Abus sexuels : l’Église catholique doit prendre ses responsabilités» – en français et anglais qui en est actuellement à 13 844 signatures : il s’agit de créer une «mobilisation qui franchisse les frontières», selon François Devaux. Ce dernier, figure de la libération de la parole des victimes de violences sexuelles de la part de prêtres et de religieux, a appelé les évêques de France à «payer pour tous ces crimes», mardi, ne mâchant pas ses mots en introduction de la Ciase : «Je sais que c’est de l’enfer que vous revenez», a-t-il lancé, évoquant «ce qui ressemble à s’y tromper à une fosse commune des âmes déchiquetées de l’Église» (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/05/pedocriminalite-dans-l-eglise-330-000-victimes-estimees-depuis-1950-selon-les-travaux-de-la-commission-sauve_6097191_3224.html). Face à ce bilan, “le mieux que vous auriez à faire : vous taire et commencer à vous exécuter avec ardeur et célérité”, a-t-il déclaré, assurant aux responsables ecclésiastiques qu’il faut à présent “refonder le système dans une dimension considérable”. “La tâche est abyssale”, a-t-il prévenu, appelant à un concile “Vatican III”, qui ne serait pour autant qu’un “point d’étape”. “Peut-on raisonnablement penser que l’Église en est seulement capable ?”, s’est-il interrogé face à un auditoire silencieux. Évoquant le rapport de la commission Sauvé, il a déclaré : “Vous apportez enfin aux victimes une reconnaissance institutionnelle de toute la responsabilité de l’Église, ce dont les évêques et le pape n’ont pas été capables à ce jour” (https://www.huffingtonpost.fr/entry/rapport-sauve-francois-devaux-appelle-les-eveques-a-payer-pour-tous-ces-crimes_fr_615c25ade4b075408bdb9ddb).
Enfin, le pape François a exprimé ce mardi son “immense chagrin” après la publication d’un rapport accablant sur la pédocriminalité au sein de l’Église de France, qui a “pris conscience de cette effroyable réalité”. “Ses pensées se tournent en premier lieu vers les victimes, avec un immense chagrin pour leurs blessures et gratitude pour leur courage de dénoncer. Elles se tournent aussi vers l’Église de France, afin que, ayant pris conscience de cette effroyable réalité (...) elle puisse entreprendre la voie de la rédemption”, a déclaré le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni, évoquant devant des journalistes la réaction du pape (https://www.huffingtonpost.fr/entry/pedocriminalite-en-france-le-pape-dit-son-immense-chagrin-face-a-cet-effroyable-realite_fr_615c42a5e4b050254237d2fd).
Merci !