À Montréal, l’omerta persistante sur les agressions sexuelles au sein de l’Église catholique
Publié le 21 Décembre 2022
Jean-François Gérard, correspondant à Toronto, nous apprend sur Libération.fr le 20 décembre 2022 que malgré la mise en place en 2019 d’un processus transparent pour recueillir et traiter les plaintes pour abus sexuels, à la suite de la condamnation pour agressions sexuelles sur deux mineurs du prêtre Brian Boucher (les faits remontent à 1995-1999 et 2008-2011), l’archevêché de Montréal n’hésite pas à mettre des bâtons dans les roues de la médiatrice chargée des enquêtes. Publié le 12 décembre, le cinquième rapport de «l’ombudsman» – une médiatrice, l’avocate Me Marie-Christine Kirouack, nommée en mai 2021 et chargée de recueillir des plaintes et d’enquêter dans les archives du diocèse – conclut que «le processus de plaintes vit des jours difficiles». L’ombudsman dénonce des délais «interminables» et d’autres problèmes dans le traitement des plaintes pour abus. Elle cite par exemple des lettres qui n’ont pas été transmises, des suspensions qui n’ont pas été décrétées et une enquête qui n’a pas été enclenchée des mois après des recommandations en ce sens. L’ombudsman, qui soulignait une «amélioration du processus» dans son précédent rapport en août, constate que «tel n’est plus le cas». Elle dénonce aussi des fuites et des entraves à son travail dans les derniers mois (https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-12/archidiocese-de-montreal/c-etait-devenu-inacceptable-dit-la-juge-capriolo-en-claquant-la-porte.php).
Me Kirouack indique que son archiviste, un employé essentiel à son travail, a été menacé de mise à pied après «avoir osé demander une augmentation» qui lui avait été promise. Un autre employé du diocèse a porté plainte au Barreau contre l’ombudsman après avoir temporairement suspendu les accès informatiques de l’archiviste. L’ombudsman fait un lien entre ces bâtons dans les roues et le fait «qu’avec l’aide et le soutien indéfectible de l’archiviste, je trouvais de plus en plus de dossiers qui n’ont pas été traités de façon satisfaisante par le passé et même des listes contemporaines d’abuseurs sexuels (sur mineur et sur majeur) dans lesquels il a été décidé de ne pas agir». Me Kirouack dénonce également le fait qu’il ait fallu près de trois mois et autant de plaintes de sa part avant de relever de ses fonctions un vicaire épiscopal à l’origine de fuites externes de courriels contenant des informations confidentielles sur les plaignants. Le vicaire s’est également ingéré dans le processus de plainte au mépris du protocole établi, écrit l’ombudsman (https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-12/archidiocese-de-montreal/c-etait-devenu-inacceptable-dit-la-juge-capriolo-en-claquant-la-porte.php).
Et la situation semble très compromise, car l’autrice en 2020 du rapport pionnier sur les abus dans l’Église catholique de Montréal, l’ex-juge Pepita Capriolo vient de démissionner face à l’inaction de l’archevêché. «Un trop grand pas» entre ses préconisations pour lutter contre les abus dans l’Église de Montréal et leur application, déplore Pepita Capriolo dans sa lettre de démission du comité de transition qu’elle coprésidait (https://www.liberation.fr/international/amerique/inertie-face-aux-abus-dans-leglise-quebecoise-je-ne-veux-pas-que-mon-nom-soit-associe-a-linacceptable-20221220_PP25G43JSFDDTAYCLANRZVG53Q/). Les changements qu’elle proposait pour réorganiser le fonctionnement de l’archevêché n’étaient plus les bienvenus. Elle dit avoir rencontré trois sortes d’opposants. «Il y a des gens qui ne veulent pas le changement et il y a ceux qui disent que le changement doit arriver beaucoup plus lentement; ça, c’est leur excuse; peut-être qu’ils veulent attendre un autre deux mille ans. Il y a aussi ceux-ci qui veulent la tête de l’archevêque [Christian Lépine]», note-t-elle. «Ils sont de la vieille garde; ce sont ceux qui sont habitués au cléricalisme. C’est comme une caste et ils se protègent», ajoute-t-elle. Au bout du compte, elle se dit simplement dépassée par l’opposition qu’elle a rencontrée. «Je ne comprends pas, je ne vois pas quel est le gain, dit-elle. Les catholiques de base, eux, veulent le changement. Si vous saviez le nombre de lettres de remerciement que j’ai reçues» (https://www.journaldemontreal.com/2022/12/12/plaintes-contre-les-pretres-lex-juge-pepita-capriolo-estime-que-leglise-montrealaise-est-controlee-par-une-caste).
Enfin, l’Archidiocèse a refusé de répondre aux questions de La Presse «afin de respecter» l’indépendance de l’ombudsman (https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2022-12-12/archidiocese-de-montreal/c-etait-devenu-inacceptable-dit-la-juge-capriolo-en-claquant-la-porte.php). On croit rêver.
Merci !