
Je vais vous parler
du concile Vatican II qui est l'événement le plus marquant de l'histoire de l'Église catholique au XXe siècle, symbolisant son ouverture au monde moderne et à la culture contemporaine faite de
progrès technologiques considérables, d'émancipation des peuples et de sécularisation croissante. Des réponses aux questions modernes furent cherchées dans un retour aux racines du christianisme
: la Bible (sur base de nouvelles recherches bibliques) et la grande Tradition, dépoussiérée d'une multitude de coutumes accumulées au cours des siècles.
Le pape
Jean XXIII ouvre le concile Vatican II le 11 octobre 1962, dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Né près de Bergame (Italie du nord) le 25 novembre 1881, dans une
famille très pauvre de dix enfants,
Angelo Roncalli se signale par une extrême bonté pendant toute sa vie consacrée à l'Église, y compris quand il accède au prestigieux
patriarcat de Venise. Il est élu pape par le conclave le 28 octobre 1958, à 76 ans et onze mois.
Les cardinaux, en portant leur choix sur lui, après la disparition de
Pie XII, veulent se donner le temps d'une transition avant d'élire un pape d'action. Mais le nouvel élu
provoque d'emblée la surprise en annonçant un
"aggiornamento" (mise à jour) de l'Église catholique, autrement dit un grand concile oecuménique en vue d'adapter l'Église au monde moderne.
Aucune entreprise comparable n'a été menée depuis le concile de Trente, trois cents ans plus tôt.

Au XIXe siècle, l'Église s'était assoupie sous l'effet du conservatisme dominant en politique
et dans les relations sociales.
Pie IX, après une rupture avec les libéraux et la perte des États pontificaux, s'était replié sur la cité du Vatican et avait entrepris de
renforcer le pouvoir du Saint-Siège sur l'Église catholique et ses évêques. C'est ainsi qu'il avait réuni un concile oecuménique, Vatican I, qui avait consacré en 1870 l'infaillibilité
pontificale.
À la fin du XIXe siècle, le vigoureux
Léon XIII, successeur de
Pie IX, réagit à la laïcisation des sociétés européennes et à la montée du prolétariat ouvrier. Il
publie l'encyclique sociale
Rerum Novarum (1891) et inspire le ralliement des catholiques français à la République. Après une longue
pause marquée par les deux guerres mondiales, la tragédie nazie et le pontificat de
Pie XII, Vatican II veut adapter l'Église au monde moderne, intégrer une réflexion religieuse
dans les mouvements d'idées et réconcilier toutes les chrétientés.
Jean XXIII, dès l'ouverture du concile Vatican II, dénonce l'enseignement du mépris et témoigne de son ouverture aux autres religions et en particulier aux juifs. Plus de 2 300
hommes d'Église, théologiens et observateurs assistent à la séance d'ouverture du concile Vatican II convoqué à Rome par le pape
Jean XXIII. Le concile a pour mission de
présenter l'Église
"à tous les hommes de notre temps, en tenant compte des déviations, des exigences et des besoins de l'époque moderne".
Le 11 octobre 1962, la basilique Saint-Pierre de Rome résonne du discours prophétique de
Jean XXIII, inaugurant solennellement l'événement devant plus de 2 500 pères
conciliaires. Cette réunion extraordinaire de tous les évêques du monde, la vingt et unième du genre dans l'histoire ecclésiastique de l'Occident, tranche par sa volonté inédite de rendre au
message chrétien sa vocation de paix et d'unité. Jusqu'alors, les papes convoquaient leurs évêques plutôt pour affronter des mutations extérieures des événements menaçant l'intégrité doctrinale
ou institutionnelle de l'Eglise. A l'instar de Vatican I, réuni en 1869 par
Pie IX pour livrer bataille contre la laïcisation de la société et l'anticléricalisme ambiant. Sa
volonté de réforme trouve un écho dans les propos du théologien dominicain
Yves Congar, le 14 octobre 1962 :
"Il n'y a rien à faire de décisif tant que l'Église romaine ne
sera pas sortie de ses prétentions seigneuriales et temporelles. Il faudra que tout cela soit détruit. Et cela le sera".

Des milliers de
participants, originaires de tous les continents, prendront part aux travaux des quatre sessions que comptera Vatican II (11 octobre au 8 décembre 1962, 29 septembre au 4 décembre 1963, 14
septembre au 21 novembre 1964, 14 septembre au 8 décembre 1965). Cette période sera marquée par le décès de
Jean XXIII, le 3 juin 1963, et l'élection de son successeur,
Paul VI. Le déroulement inattendu du concile s'explique par les différences importantes entre la première et la deuxième session du concile. Un programme pré-établi par des
cardinaux de curie (avec textes quasi prêts à être votés) fut rejeté. Les pères conciliaires prirent alors leur agenda en mains. Les cardinaux
Léon-Joseph Suenens,
Giacomo Lercaro, et
Julius Döpfner, trois des quatre modérateurs, semblent avoir été à l'origine de cette
"révolte". Le changement de procédure proposé
fut immédiatement accepté par Jean XXIII. Tout fut alors très différent, et les débats plus libres.
On y a débattu notamment des célébrations liturgiques, du rapport que devait entretenir l'Église catholique avec les autres Églises chrétiennes, avec les autres confessions religieuses, et la
société en général, mais aussi de problèmes plus spécifiquement théologiques, comme la liberté religieuse et la Révélation.
"Au cours des siècles précédents, raconte le père jésuite
Gustave Martelet, l'un des participants au concile, l'Eglise s'était ligotée elle-même.
Avec Vatican II,
elle a ôté ses entraves." De 1962 à 1965, dans un bouillonnement parfois polémique, les prélats planchent au cours de quatre sessions. La promulgation de quatre constitutions - dont
Lumen gentium, sur le dogme, et
Gaudium et Spes, sur l'Eglise dans le monde -
et d'une moisson de décrets et déclarations confirme les intuitions novatrices des grands théologiens, les
Rahner,
de Lubac,
Teilhard de
Chardin,
Chenu et l'incontournable
Congar - les éditions du Cerf ont publiées les deux tomes de son
Journal du concile, récit quotidien et encore inédit des séances dont le dominicain fut un acteur capital et le témoin vigilant et critique.
"Ces réformes
ont consacré des courants de pensée chrétiens qui travaillaient depuis des décennies sur la liturgie, l'exégèse ou la patristique, recherchant un ressourcement dans le retour aux origines",
confirme le théologien et philosophe
Gérard Leclerc, auteur des
Dossiers brûlants de l'Eglise (
Presses de la
Renaissance). Salutaire
"éclatement de l'histoire", selon le dominicain
Nicolas-Jean Sed, directeur des
éditions du Cerf, le concile met à bas
"les décisions dans lesquelles [nous] avait enfermés le siècle précédent" :
"Il cristallise dans la conscience ecclésiale l'idée que la conversion ne saurait être autre chose que
l'avènement de la liberté personnelle." C'est l'une des conclusions majeures des débats: la notion de liberté religieuse substitue le libre choix à l'adhésion forcée.
"L'Eglise reconnaît
là que la force de son mystère ne dépend pas du pouvoir qu'elle aurait de l'imposer, mais de sa séduction sur les intelligences et les cœurs, souligne
Gustave Martelet.
Dieu n'impose pas, il propose." Les croyants constituent le peuple de Dieu, humanité au service de laquelle l'Eglise se place, plutôt que de la dominer par ses institutions et sa
puissante hiérarchie.
En consacrant la notion de collégialité des évêques, Vatican II prend le contre-pied des textes adoptés par Vatican I, qui édictait l'infaillibilité papale :
"Dès lors, le pape n'est plus ce
monarque absolu incarné par Pie IX", insiste
Martine Sevegrand, historienne du catholicisme. Autre avancée déterminante: l'œcuménisme et le dialogue interreligieux, qui
s'amorcent avec la reconnaissance mutuelle des Eglises chrétiennes, la levée réciproque des anathèmes entre Eglises catholique et orthodoxe et la suppression de l'accusation de déicide portée
contre les juifs. La soutane abandonnée, la liturgie désormais prononcée dans la langue du pays, l'apostolat des laïques consacrant leur participation active, l'institution se veut désormais
proche de ses fidèles, à leur image.
Le second concile du Vatican avait fait un très grand effort pour intégrer certains éléments de la Réforme et de la modernité dans l'Eglise catholique : nouvelle approche de la Bible, nouvelle
conception du
"peuple de Dieu", liturgie plus proche des fidèles, reconnaissance de la liberté religieuse en chaque individu, affirmation que les juifs ne sont pas responsables de la
mort de Jésus... La réflexion avait avancé ! Et la plupart des évêques espéraient que les papes qui suivraient feraient le nécessaire pour réaliser ce programme.

Le concile achève
ses travaux sous le pape
Paul VI, successeur de
Jean XXIII, mort le 3 juin 1963. Le pape
Jean XXIII est mort quelques mois après l'ouverture du
Concile Vatican II, alors qu'une seule session s'était déroulée. La première tâche du nouveau pape est donc de poursuivre puis clore ce concile, en dépit des évêques qui voulaient ne pas le
poursuivre.
Paul VI, élu le 21 juin 1963, annonce dès le lendemain son désir de donner une suite aux travaux du Concile et nomme quatre cardinaux modérateurs. Un bureau de presse
est créé pour communiquer des informations quotidiennes et des laïcs sont invités à participer comme auditeurs, parmi eux
Jean Guitton. En 1965, les dernières heures du Concile
sont historiques, elles aussi :
Paul VI participe à une célébration avec des non-catholiques, le 4 décembre 1965 en la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs. Le 7 décembre, les
sentences d'excommunication de 1054, entre les Églises grecque et romaine, sont levées. Le Concile s'achèvera par une messe de clôture et un message au monde, le 8 décembre 1965. Formé à l'école
de
Pie XII, le pape
Paul VI en avait hérité une certaine austérité où s'ajoutait cependant de l'angoisse. Par ailleurs, de
Jean XXIII, il
partageait ce désir d'ouvrir davantage le Vatican et le pontificat lui-même sur le monde. Beaucoup moins spectaculaire que
Jean XXIII,
Paul VI avait un fardeau
peut-être plus lourd à porter et pourrait être considéré à juste titre comme le véritable pape de transition entre l'Église traditionnelle et la nouvelle Église catholique. Respectant
rigoureusement les directives du Concile Vatican II, il entreprit le rajeunissement des structures de l'Église mais ne put rallier les traditionalistes offusqués et les jeunes progressistes qui
souhaitaient le voir dépasser les recommandations conciliaires à juste titre, car
Paul VI n'avait pas traité les sujets sensibles lors du Concile : la contraception, la place des
femmes dans l'Église, le celibat des prêtres. Avant de clore le concile Vatican II, les participants tentent mais en vain de proclamer la sainteté de
Jean XXIII par acclamations.
Le pape
Paul VI s'y oppose par crainte que l'autorité pontificale ne soit battue en brèche par cette entorse à la pratique habituelle.

Certains théologiens, comme
Karl Rahner, redoutent dès les années 60 que
Vatican II ait résolu les problèmes du passé sans régler les questions à venir.
"Il y a, chez de nombreux évêques, la tentation de s'arrêter là, souligne
Martine
Sevegrand.
Pourtant, beaucoup de sujets sont restés en suspens lors du concile: le célibat des prêtres, les moyens de limiter les naissances, la question du divorce..."
Or, le concile n'a été achevé qu'à 50 %, par la faute de la Curie romaine (les organismes administratifs du Saint-Siège), qui a freiné des quatre fers. L'Eglise est même entrée, depuis Jean-Paul
II, dans une période de
"restauration" – la restauration du système romain médiéval -, en s'appuyant sur deux instruments : d'une part, la publication de documents (encycliques, etc.)
réactionnaires sur des problèmes de doctrine et de morale ; d'autre part, en exigeant des candidats aux fonctions d'évêque une soumission totale à la
"ligne" idéologique romaine.
Aux Etats-Unis comme en Europe occidentale, des catholiques de plus en plus nombreux n'hésitent plus aujourd'hui à réclamer la convocation d'un concile Vatican III. Ex-archevêque de Milan
fraîchement retraité, le
cardinal Martini lui-même avait souligné l'opportunité de cette requête, reconnaissant l'impérieuse nécessité de débattre les questions laissées en
suspens.
Jean-Paul II, acteur de Vatican II, ne sera pas l'initiateur de Vatican III.
Benoit XVI non plus.
Finalement on peut conclure en disant que Vatican II a été un tournant profond : l'Eglise est sortie de cette logique de bunker en acceptant la séparation des pouvoirs, en reconnaissant les
droits de l'homme, la liberté religieuse et la valeur des religions non chrétiennes.
Merci !