La lecture du dimanche 26 février est la fin du prologue de l’évangile de Marc, où se trouve le séjour de Jésus au désert et son début de ministère en Galilée :
« Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert. Et il était dans le désert durant
quarante jours, tenté par Satan. Et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée, proclamant l'Évangile (du
Royaume) de Dieu et disant : " Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l'Évangile. " » (Marc 1, 12 – 15).
C’est deux récits très courts qui sont reliés par l’arrestation de Jean le
Baptiste et qui mettent en valeur le Jésus prophète.
Dans le premier récit, Jésus se rend au désert, probablement celui de Judée, où
d’après Marc, son maître Jean le Baptiste prêchait. Il ne le fait pas de sa propre initiative, c’est l’Esprit qui l’y a conduit. Il est donc encore toute à son expérience
mystique du baptême et y reste 40 jours. Mais il n’y a aucune mention d’un jeûne comme dans l’évangile de Matthieu et de Luc. Cette durée est une référence aux 40 jours au pied du
Sinaï dans le livre de l’Exode et non pas aux 40 ans dans le désert du peuple d’Israël. Donc à une préparation avant la
remise de la Loi de Dieu, la torah à son peuple.
Jésus, ici, vit donc un événement quasi équivalent, d’après Marc, mais pas une
nouvelle remise de la Loi ou une nouvelle Alliance, mais la venue du Royaume de Dieu tel qu’on le voit dans le second récit. Des signes le montrent : d’abord, Jésus est tenté par Satan, non pas
celui du livre de Job et de Zacharie, qui ne désire que la perte de l’humanité,
mais ici l’adversaire de Dieu, l’homme qui se fait honorer comme tel, l’empereur de Rome, et de l’occupation duquel Israël sera libéré lorsque les temps seront accompli. Mais
contrairement à Matthieu et à Luc qui précise ces dernières, Marc ne les rapporte pas. Un moyen de passer la censure romaine surtout après les persécutions
contre les Juifs des autorités locales romaines en Orient et à Rome des années 60 à 70.
Ensuite, il est avec « les bêtes sauvages », inaugurant la prophétie
d’Isaïe 11, 6 – 9, où le Règne de Dieu amènera l’harmonie entre tous les animaux et entre les animaux et les hommes. Les anges y sont
placés probablement car ils sont le signe de la faveur divine (Psaumes 91, 11 – 13), en particulier celle qui entoure Jésus los de ce séjour au désert.
Mais Marie – Émile Boismard, lui, se figurait le récit du désert
dans sa version du Proto – Marc, sans la mention des 40 jours comme une anticipation de l’arrivée du Royaume de Dieu :
« Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert. Et il était avec les bêtes sauvages,
et les anges le servaient. »
Mais le texte de Marc, vu son ancienneté n’invite pas à une telle suspicion.
Cette chronologie est ignorée par l’évangile de Jean selon laquelle Jésus retourne
dès le lendemain en Galilée et ne revient en Judée qu’après les noces de Cana, où il serait resté pour pratiquer le baptême, comme le
faisait Jean, avec un succès équivalent voire supérieur. Cependant, cette retraite de Jésus au désert n’aurait rien d’impossible si le séjour de Jésus au désert ne dure pas 40 jours, durée
purement symbolique, mais seulement après son baptême, une journée. Tout comme on peut le voir dans les autres exemples qui traversent l’évangile de Marc, où Jésus se retire seul pour prier dans
des lieux déserts (Marc 1, 35, 45), lorsqu’il doit prendre une décision qui s’avérera décisive. Ce n’est pas alors le seul.
Les mouvements apocalyptiques juifs (esséniens,
baptistes, zélotes) avaient une prédilection pour ces lieux, moins bien surveillé par les autorités romaines et leurs collaborateurs. Une mesure de prudence
d’autant que Jésus est un disciple proche de Jean. Mais il se peut aussi, que comme les Esséniens du monastère de Qumrân, il s’y soit retiré afin de se préparer à la venue du
Royaume, le désert depuis l’Exode était devenu un lieu de purification duquel avait émergé le peuple d’Israël vers la Terre
promise.
Il semble que cette expérience sera déterminante pour Marc, mais dans les faits, ce
sera l’arrestation de Jean, devenu trop dangereux pour le tétrarque de Galilée, Hérode Antipas. Jésus semble ici vouloir réveiller un mouvement en perte de vitesse après
l’arrestation de son chef, mais pour cela il décide de quitter la Judée et la sévérité de Pilate (qui a laissé Hérode Antipas prendre Jean en Samarie) pour la
Galilée. Pour cela, Jésus reprend son rôle de rabbi, de Prophète, de messager, reprenant son annonce, tel qu’on peut le voir dans Matthieu 3, 2 : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » Il en développe même la portée, en reprenant cette prophétie
d’Isaïe 52, 7 : « Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles qui annonce le salut, qui dit à Sion : " Ton Dieu
règne. " »
C’est donc l’annonce d’une bessorah, en hébreu, c’est – à – dire « l’annonce
d’un événement heureux » qui est annoncé par un héraut, bien plus forte que le terme grec évangile. En effet, pour le peuple d’Israël, car il annonce que son attente est finie, que le
« Règne de Dieu est là », une réalité qui n’est pas expliqué car elle est connu par les auditeurs de Jésus car elle se réfère explicitement à la royauté de Dieu sur Israël et au temps de
Jésus, tel que le montre la littérature apocalyptique (Psaumes de Salomon par exemple), à la croyance que lors de l’accomplissement des
temps, Dieu viendrait régner sur son peuple.
Un enseignement qui reste proche de celui de Jean le Baptiste car l’homme est acteur
du Royaume, car il doit se repentir. Le mot hébreu qui en est à l’origine tshuvah est plus fort que le mot grec qui a donné repentir, car il signifie littéralement changer de direction,
de voie, de cœur, car si Israël est occupé c’est que le peuple est impur. Ce qui peut expliquer la liaison avec le désert, et aussi l’insistance sur les rituels touchant à l’impureté à l’époque
de Jésus. Ce repentir ne passe pas les grands prêtres du Temple mais par le Royaume, donc par Dieu dont Jésus est l’intermédiaire.
Et aussi par la croyance à l’Évangile d’après Marc (on ne retrouve pas ce passage
dans Matthieu), c’est – à – dire à ce message de salut. Mais ce message est une annonce subversive annonçant la fin de la royauté de l’empereur sur Israël. C’est donc aussi, comme le suggère
Richard A. Horsley, un profond changement de société qu’il annonce, qui vise probablement la masse des paysans, les commerçants et les artisans de Galilée, victimes des taxes
romaines. A l’image de l’annonce d’Isaïe 61, 1 – 2 qui inspirera Jésus tout au long de sa vie publique :
« L'esprit du Seigneur Yahvé est sur moi, car Yahvé m'a donné l'onction; il m'a
envoyé porter la nouvelle aux pauvres, panser les cœurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part de Yahvé et un jour
de vengeance pour notre Dieu, pour consoler tous les affligés… »
Des deux récits émergent donc l’image d’un Jésus prophète, qui annonce un message de
salut, la délivrance tant attendue d’Israël par le Règne de Dieu. Est – il alors conscient d’être le Messie ou pense – t – il seulement un des derniers inspirés d’Israël venant annoncer le
Royaume ? Il est possible qu’alors ce soit cette solution qui soit préférable, comme le démontre David Flusser, et que Jésus n’a eut conscience d’être le Messie qu’après la mort
du Baptiste.
freyr1978