Avant de commencer ce deuxième article sur le sujet, un très bon et heureux Joyeux Noël à tous ceux et à toutes celles qui passeront sur notre blog ! Et, pour les croyants, n'oubliez pas de fêter un très bon et joyeux anniversaire à Jésus ! Après tout, nous célébrons sa naissance aujourd'hui. Demain, je vous proposerai la première partie d'un article sur Joseph, le père de Jésus.
Maintenant reprenons mon article consacré à l'Immaculée Conception.
Cependant, si le péché originel est dû à une erreur d'interprétation, qu'en est-il du privilège de Marie ? Et sur quoi repose-t-il. Si on lit, Ineffabilis Deus, la seule preuve biblique vient du récit de l'Annonciation de l'évangile de Luc, qui est probablement le résultat d'une double ou triple rédaction entre 66 et 90. Elle tient dans la salutation de l'Ange Gabriel : « Réjouis-toi ! Comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » (Luc 1, 28.)
Cependant, le tort de la bulle du pape Pie IX vient du fait qu'il ne tient aucun compte du contexte où a été rédigé ce récit en pleine guerre juive de 66-70, où par le biais de ce récit la communauté de Jérusalem, dirigée par Syméon, fils de Clopas, le cousin de Jésus, doit prouver la messianité de Jésus à un moment où la concurrence messianique est très importante, et où les zélotes se moquent des chrétiens qui croient à un Messie, qui a été crucifié, donc qui a échoué. C'est pourquoi la salutation de l'Ange Gabriel est un renvoi à quatre prophéties (Sophonie 3, 14-17 ; Joël 2, 21-27 ; Zacharie, 2, 14-15 ; 9, 9-10) concernant « la fille de Sion », c'est-à-dire Jérusalem, qui est invité à se réjouir du retour de Dieu en son sein lors du Jour de Yahvé, et, qui par la suite, prendra une tournure messianique, notamment avec la prophétie de Zacharie 9, 9, qui sera réinterprété comme la venue du Messie qui libérera Israël de l'oppression des princes étrangers, et surtout dans le contexte qui nous intéresse, de l'empire de Rome. Ici, Marie a été identifié par l'auteur de ce récit à la Jérusalem messianique, la ville que Dieu a choisi pour l'abriter. Le Temple est sa demeure. Donc, avec cette comparaison, il normal que le Seigneur accorde à Marie, nouvelle « fille de Sion » une grande faveur, car il l'a choisi pour être la mère du futur Messie. « le Seigneur est avec toi » est un renvoi à la salutation de l'ange de Yahvé au Juge Gédéon dans le livre des Juges : « L'ange du SEIGNEUR lui apparut et lui dit : « Le SEIGNEUR est avec toi, vaillant guerrier ! » (6, 12.) L'apparition de l'ange à Gédéon marque ici le fait que Dieu va délivrer son peuple de l'oppression des Madianites par son bras. Dans le récit, la naissance de Jésus en est un équivalent, et Marie reprend le rôle de Gédéon car c'est par son sein que viendra la venue de Jésus, et donc la libération d'Israël.
Au verset 30, l'Ange afin de rassurer la future mère lui dit : « N'aie pas peur, Marie tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Le choix de Dieu est mis en évidence par le fait que c'est la vie de Marie jusqu'à ses 12-15 ans qui l'a fait choisir. Luc 2, 21, 22-23, 39 et 41-42 nous montre qu'elle était une juive très pieuse, comme, l'est contrairement à leur réputation, la majorité des Juifs. Il est possible qu'elle était une sympathisante du groupe de sages charismatiques galiléens, les Hassidims (Pieux), qui avaient leur propre interprétation de la Torah, comme le montre leurs démêlés avec les Pharisiens. Donc, pas de privilège spécial de Dieu, car le choix de ce dernier s'est porté sur Marie du fait de son respect de la loi juive et non d'un privilège spécial. Ces deux versets sont très proche de ce que dit Paul au sujet de sa vocation : « lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce » (Galates 1, 15), et, Hégesippe, au IIe siècle, au sujet de Jacques, le frère de Jésus : « Celui dont nous parlons fut saint pour ainsi dire dès le sein de sa mère ».
Le verset 34 : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre », est assez proche de ce qui se passe dans le récit du baptême de Marc 1, 1-11 où l'évangile commence avec le baptême de Jésus par Jean, en recevant l'Esprit, il est reconnu Fils de Dieu par son père. Il faut savoir que d'après David Flusser (Jésus, Éclat, 2005 ; Les Sources juives du christianisme primitif, Éclat, 2003) et Marie-Émile Boismard (L'évangile de Marc. Sa préhistoire, in Études Bibliques n.s. 26,Gabalda, Paris, 1994 ; Jésus, un homme de Nazareth, raconté par Marc l'évangéliste, Éd. du Cerf, 1996 ; Le baptême selon le Nouveau Testament. Théologies, Paris, Éd. du Cerf, 2001), c'était plutôt Isaïe 42, 1 que citait la voix venue du Ciel : « Voici mon serviteur, que je soutiendrai, mon élu, en qui mon âme prend plaisir. » C'était donc un récit de vocation prophétique, car ce n'est qu'au fur et à mesure de sa prédication que Jésus prend conscience qu'il est aussi le Messie, ce que montre le récit de la déclaration messianique de Pierre et de la Transfiguration. Ici, pour Marie, ce ne serait pas différent. C'est un récit de vocation probablement prophétique mais dans un contexte de libération messianique car, à la fin des temps, Israël, verra l'Esprit fondre sur lui, deviendra un peuple de prophètes (Isaïe 32, 15), et Marie, ne serait que celle, à travers qui débute cet événement, qui trouvera sa traduction dans le récit de la Pentecôte. La seconde partie, qui ne figurait peut-être pas dans le récit, renvoie à la « la nuée du SEIGNEUR », qui a été malheureusement traduite en grec par « puissance du Très-Haut », probablement tiré de ce passage du livre de l'Exode (40, 38) : « Car la nuée du SEIGNEUR était sur la demeure pendant le jour mais, pendant la nuit, il y avait en elle du feu, aux yeux de toute la maison d'Israël, à toutes leurs étapes. » Ici, dans le récit de la présence de la nuée divine, Dieu habite parmi son peuple. Comme pour le première partie du verset 34, il est relu dans une perspective messianique, mais pas dans la communauté d'origine du récit, mais plutôt dans une communauté de craignants - Dieu, bien au fait des techniques de commentaire synagogal. En effet, en Marie, la première, le peuple d'Israël est appelé à devenir un peuple de saints, donc de prophètes. L'analyse rigoureuse du récit de l'Annonciation est assez problématique pour le dogme de l'Immaculée Conception, car rien ne semble le suggérer de près ou de loin, contrairement à ce qu'affirme la bulle Ineffabilis Deus.
Ce qui ne s'arrange guère si on lit la fin du récit au verset 38 où Marie dit à l'ange Gabriel : « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole ! » Marie emploie ici un terme très fort, celui de servante, et qui est très atténué si on sait que le terme originel employé était plutôt le terme « esclave ». Donc Marie se considère indigne de cette faveur que lui offre Dieu. Elle est donc plus modeste qu'on ne pourrait le croire surtout si l'ange Gabriel dans les lignes précédentes lui avait parlé d'une faveur spéciale, ce qui ne ressort jamais des passages que nous avons vu précédemment. Dans la seconde partie du verset 38, le « qu'il m'advienne selon ta parole ! » montre que Dieu veut son consentement. Il veut qu'elle soit libre d'accepter cette faveur, et elle le fait avec beaucoup de modestie, pour quelqu'un qui est considéré sans péchés dès le sein de sa mère, ça paraît étonnant. Cependant, si elle était prophétesse au sein de la communauté primitive comme on peut le penser à travers ce récit, il y aurait une indication de l'âge où Dieu l'a appelé, avant son mariage, à 12 ou 15 ans, et que la future naissance de Jésus en aurait été le déclencheur. Il se peut aussi plus simplement que ce soit l'âge, où elle s'est senti appelé à faire partie des hassidim galiléens, qui dans certaines baraita du Talmud communiquait directement avec Dieu. Peut-être que le récit primitif de l'Annonciation a été élaboré à partir de cela.
De plus, par la suite, par exemple Jean 2, 12 nous apprenons que lorsque Jésus commence son parcours, il va habiter à Capharnaüm avec ses frères et sa mère, et il est possible que ce petit groupe était rassemblé lors du mariage de Cana avec Jésus d'après le récit original du miracle d'après Marie-Émile Boismard (Synopse des quatre évangiles en français, vol. III, L'évangile de Jean, avec A. Lamouille et G. Rochais, Paris, Édition du Cerf, 1977, Un évangile pré-johannique, vol. I, Jean 1,1-2,12 en 2 tomes avec Arnaud Lamouille, in Études Bibliques, n.s. 17-18, Gabalda, Paris, 1993). Si ses frères et sa mère sont présents avec lui à ses débuts, c'est qu'il était déjà présent à son baptême. Un apocryphe peu connu, l'Évangile des Hébreux, suggère qu'ils furent baptisés avec Jésus : « La mère et les frères du Seigneur lui disaient : « Jean-Baptiste donne un baptême pour la rémission des péchés ; allons-nous faire baptiser par lui. Il leur répondit : « Quel péché ai-je commis pour aller me faire baptiser par lui ? Croyez-vous que je ne sache pas ce qu’il en est ». » (Jérôme, Dialogue contre Pélagiens, III, 2.) Ce récit est une réponse à la gêne qu'a constitué le baptême de Jésus parmi les judéo-chrétiens comme le montre Matthieu 3, 14-15, car c'était un baptême de rémission des péchés et que Jésus a reconnu Jean comme son Maître. En effet, si Jésus est venu se faire baptiser c'est qu'il considérait qu'il avait concouru au péché collectif d'Israël, c'est-à-dire l'occupation romaine, notamment en travaillant sur les chantiers de Sepphoris et Tibériade, en tant que tektone, artisan en bâtiment, pour le collaborateur de Rome, Hérode Antipas, tétrarque de Galilée. Et si sa mère et ses frères ont fait de même, c'est qu'il considérait en tant que tenant de l'entreprise familiale, il y avait concouru collectivement. Étrange, Marie, depuis la salutation de l'Ange Gabriel, ne devrait-elle pas savoir qu'elle est pure ?
Pas plus que Marie, Jésus ne semble connaître ce privilège spécial de Marie. Il suffit de lire les deux épisodes où une femme encense Marie en ces termes : « Heureuse celle qui t’a porté et allaité ! » (Luc 11, 27) et celui où sa mère et ses frères tentent de le rejoindre dans la maison de Capharnaüm. Pour le premier, il répond par un cinglant : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent ! » (11, 28). Pour le second, même réponse sèche mais collective : « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. » (Marc 3, 34-35.) Pour comprendre ce mot, il faut éviter le simplisme de certains exégètes car comme le montre Jean 2, 12, ses frères et sa mère font partie de ses disciples. Alors pourquoi ces dures réponses ? C'est évident car ce sont les évangélistes Marc et Luc, probablement en conflit avec l'église de Jérusalem, qui auraient placé ces récits au début du ministère, ce qui leur a donné un sens différent. À l'origine, il devait se placer après la multiplication des pains, lors des rares visites en Galilée que relate l'évangile de Marc, et à un moment où Hérode Antipas a décidé de réagir face à celui qui paraissait être le successeur de Jean le baptiste. Donc, dans les deux cas, les gens en s'ameutant devant la maison de Capharnaüm font courir des risques à Jésus et à sa famille, qui par exemple dans Marc 3, 20-21, s'inquiète et veulent faire sortir Jésus. Celui-ci, pour protéger sa famille, a des mots très durs contre elle. Au passage, il fait aussi comprendre, à cette dernière et aussi à sa mère (Luc 11, 27-27 est frappant à cet égard), qu'à l'image des disciples, et bien que faisant partie de la famille régnante, ils n'auront pas de sa part plus d'égard que les disciples et se doivent donc de collaborer avec ses derniers car, avec, eux ils sont appelés à l'aider à gouverner l'Israël renouvelé par Dieu. Ce que montre très bien la collaboration entre Jacques, le frère de Jésus, et Pierre dans les Actes des Apôtres. Pauvre Marie, même Jésus ne semble pas lui reconnaître le privilège que lui accorde Pie IX !
Même Paul, la référence d'Augustin, méconnaît totalement ce fameux privilège, au point d'indiquer simplement que Jésus est « né d'une femme » (Galates 4, 4). Un terme qui au passage indique son ignorance de la conception virginale alors qu'il est le plus ancien auteur chrétien avant les évangiles synoptiques car ce terme il indique qu'il est né comme tout homme d'une femme mariée.
Mais je ne crois pas que Marie leur en tiendra rigueur car d'après une baraïta du Talmud de Babylone, tout aussi rassurante pour nous, le péché originel a finit sa course depuis plus de 2 000 ans : « quatre moururent du fait du serpent : Benjamin, fils de Jacob ; Amram, père de Moïse ; Jessé, père de David ; et Kileab, fils de David. » (Talmud de Babylone, Shabbat 55 b ; Bava batra 17 a.)