Une nouvelle année, où les réformes doivent venir
Publié le 31 Décembre 2022
Aujourd’hui, nous allons passer une nouvelle année. La crise des abus sexuels et spirituels révélés depuis une trentaine d’années fait vaciller l’Église catholique, et cela ne fait que continuer puisqu’en octobre l'ex-évêque de Créteil, Michel Santier a reconnu avoir demandé, dans les années 1990, à des jeunes hommes de se dénuder pour chaque péché avoué (https://www.slate.fr/story/235703/affaire-michel-santier-abus-sexuels-archeveque-eglise-catholique-bord-gouffre-confiance-chretiens), en novembre, le cardinal Jean-Pierre Ricard a reconnu avoir eu un « comportement répréhensible » à l’égard d’une jeune femme, mineure au moment des faits, qu’à Tarbes, un abbé a été interdit d’exercer, lundi 19 décembre, par le pape François et renvoyé de l’Etat clérical, alors que la justice a ouvert une enquête pour viol, et en Guyane, dont l’évêque émérite de Cayenne, Emmanuel Lafont, est, selon La Croix le 20 décembre, interdit de toute activité pastorale par le Vatican pour des faits présumés de «harcèlement moral» et «abus de confiance aggravé» pour traite d’être humain aggravée (https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/21/violences-sexuelles-ou-abus-dans-l-eglise-les-mots-en-debat_6155258_3224.html). À cela s’ajoute dans un rapport publié lundi 12 décembre, où ont peut voir des délais «incompréhensibles» dans le traitement de certains dossiers, manquements au «devoir de confidentialité»…, que dénonce Me Marie-Christine Kirouack, médiatrice chargée du suivi des affaires d’abus sexuels dans le diocèse de Montréal (Québec), qui étrille des dysfonctionnements au sein de l’institution (https://www.la-croix.com/Religion/Abus-sexuels-diocese-Montreal-soupconne-dentraves-enquetes-2022-12-20-1201247401), alors que les accusations visant le prêtre-artiste slovène Marko Rupnik s’accumulent et posent question sur la manière dont son cas a été traité par le Vatican, ainsi que par la Compagnie de Jésus, l’ordre religieux auquel il appartient (https://www.la-croix.com/Religion/Abus-sexuels-lEglise-questions-troublantes-posees-laffaire-Rupnik-2022-12-26-1201248087). Et on peut comprendre qu’avec le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) en 2021 estimant le nombre de prêtres pédophiles à 3% qu’aujourd’hui, les gens considèrent «qu’envoyer leurs enfants au catéchisme peut être un danger», reconnaît Jean-Luc Pouthier. Le nombre de délits et de crimes a remonté ces derniers temps, continue-t-il. Mais ces scandales n’impactent pas de manière visible le nombre de fidèles de l’Église catholique, nuance-t-il. Le Covid aurait eu beaucoup plus d’effets sur la perte d’habitudes religieuses. Aussi, «un regain de la spiritualité chez les jeunes», notamment via les scouts, est constaté en ce moment, selon Odon Vallet. Face à ces révélations, le besoin de réforme se fait sentir dans l’Église, surtout en Allemagne. Des évêques y ont proposé de réfléchir au pouvoir dans l’exercice, la morale sexuelle et la place des femmes dans l’institution. Ce dernier point fait l’objet d’une infaillibilité pontificale – l’équivalent du 49.3 du pape, lance Renaud Blanc – depuis Jean-Paul II. «Là-dessus, pas possible d’envisager un retour en arrière du pape», précise Jean-Luc Pouthier. Cependant, «certains évêques allemands pourraient aller jusqu’à ordonner des femmes prêtres», d’après l’historien. Odon Vallet s’inquiète aussi du faible nombre de religieuses : «c’est effarant de voir les congrégations qui disparaissent, à tel point que certaines ne peuvent même plus entretenir les tombes» (https://www.radioclassique.fr/societe/noel-peu-de-francais-a-la-messe-de-minuit-mais-les-traditions-ne-sont-pas-negligees-assure-odon-vallet/).
Pourtant, le recul de la pratique, des vocations, de l'influence publique et culturelle montrent partout, en France, en Europe, sur les autres continents, l'inquiétude monte et devrait faire réagir l’institution. Il n’en est rien. Comme le montre Vers l’implosion ? : Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme de Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel en 2022, l’Église est très affaiblie par une sécularisation intense due aux changements sociétaux de la seconde moitié du XXe siècle, l’Église apparaît, faute de réformes conséquentes, de plus en plus expulsée de la culture commune, et délégitimée. Et cet effondrement sans précédent, est encore confirmé par l’épreuve des confinements liés au Covid-19. Certains y discernent l’entrée dans une sorte de stade terminal du catholicisme en quelques régions du monde. Pour les auteurs ce qui s’annonce, c’est un «catholicisme éclaté», où les liens affinitaires seront essentiels. Cette «Église catholique plurielle» ne signifie pas nécessairement sa fin, mais c’est un cataclysme pour une institution obsédée par l’unité. Nous ne sommes pas de cet avis dans ce blog, et nous mettons plutôt du côté de Charles Delhez avec son livre Église catholique. Renaître ou disparaître en 2022, où ce dernier lance un appel à l'institution comme à chacun à réagir sans tarder, les chrétiens redevenant le «petit troupeau» de l'évangile de Luc. Le «Je reste dans l’Église !» de Charles Delhez est une bonne chose, car on ne peut pas l’abandonner, et on doit donc mettre l’institution en phase avec l’évolution de nos sociétés afin de la débarrasser du cléricalisme, du dogmatisme, du moralisme et des abus. Il faut pour cela revenir aux propositions incontournables que sont des ministres élus, l’ordination d'hommes mariés, l’ordination des femmes et la révision de leur place dans l'Église, une considération différente de la sexualité, l’ouverture de tiers-lieux ecclésiaux (nouveaux lieux en marge des paroisses, accueillants pour tous, construits autour de propositions précises), et le dialogue avec les autres religions. De nombreux catholiques dont nous faisons partie ont une aspiration à des formes moins autoritaires et plus communautaires de la vie interne de l'Église, une considération attentive du monde et une ouverture œcuménique, mais ce réformisme ne semble pas pris en compte par la hiérarchie et les autorités romaines comme le montre les exemples –nord-américain, allemand et italien– où combien le cléricalisme est bien ancré, que ce soit dans les Églises locales (aux États-Unis, où les évêques nord-américains ont choisi l'archevêque aux Armées, Timothy Broglio, un évêque anti-François pour présider leur conférence, et en Italie, où l'évêque en charge des dossiers des agressions sexuelles, Lorenzo Ghizzoni, archevêque de Ravenne, s'en prenait vivement à la Commission indépendante sur les agressions sexuelles dans l'Église française, la Ciase, et à ses méthodes) ou à la Curie (concernant l'Allemagne, où elle ne veut pas entendre de réforme). Dans ces trois cas, des ecclésiastiques se comportent comme s'ils étaient les propriétaires de l'Église. Il n’y a rien à attendre d’une hiérarchie qui ne veut pas de réforme, alors il faut suivre l’exemple du combat des laïcs catholiques de la ville d’Osorno, qui refusent, en 2015, la nomination de Mgr Juan Barros comme évêque de leur diocèse, accusé d'avoir couvert un prêtre prédateur sexuel, Fernando Karadima, autour duquel s'est nouée pendant des années une extraordinaire collusion des pouvoirs, comme le montre l’excellent ouvrage de Régine et Guy Ringwald, La bataille d’Osorno – La résistance exemplaire de catholique chiliens face aux dérives du Vatican en 2020. Après avoir ostensiblement soutenu cet évêque, le pape François finit par céder aux contestataires en 2018. Des «croyants de base» ont réussi à organiser un contre-pouvoir qui a fini par gagner contre la Curie, grâce à cela des mouvements de laïcs se sont manifestés localement, et enfin des laïcs venant de tout le Chili même de l’étranger, se sont réunis dans un synode de leur propre initiative en 2019, où tirant le bilan de la résistance des laïcs d’Osorno, ils ont établis un autre projet : «Une autre Église est possible !», ce qui pourrait être une chance pour l’Église en changeant ses structures en la faisant devenir horizontale, diverse, participative et inclusive, où les laïcs soient réellement acteurs particulièrement les jeunes et les femmes, tout en éradiquant la culture d’abus de pouvoir, son fonctionnement avec la participation des laïcs à la prise de décision, et des femmes aux instances de responsabilité et de pouvoirs, et ses priorités en mettant en avant une Église servante et ouverte aux besoins des personnes et du monde. Leur diagnostic est clair, il n’y a rien à attendre de la hiérarchie. Ils ne demandent pas, ils font.
Le Vatican a présenté le document de travail pour la phase continentale du Synode mondial le 27 octobre 2022 et il traite des mêmes sujets que le chemin synodal allemand décrit comme la «dernière chance» pour le catholicisme de s’adapter à la modernité, qui en 2021 a proposé ordination des femmes à la prêtrise, le mariage des prêtres, et les bénédictions des couples de même sexe se faisant recadrer par Rome le 21 juillet 2022(https://www.lavie.fr/christianisme/eglise/pourquoi-rome-met-un-coup-darret-au-chemin-synodal-allemand-83528.php), plus encore quand d’autres déclarations, plus récentes, avaient également porté sur une acceptation de l’avortement (https://www.cath.ch/newsf/le-saint-siege-recadre-fermement-le-chemin-synodal-allemand/). Entre autres choses, le document de travail de ce synode mondial mentionne également des demandes de réévaluation du rôle des femmes dans l'église et pointe la situation des personnes LGBTQ et des personnes en couple de même sexe. La publication a été précédée par des processus synodaux dans les différents diocèses du monde entier, dont les expériences, les questions et les rapports de problèmes ont été résumés par les conférences épiscopales et envoyés au Secrétariat général romain (https://www.katholisch.de/artikel/42595-gerber-themen-des-synodalen-wegs-sind-themen-der-kirche-weltweit). Cependant, le Peuple de Dieu ne veut plus que les réformes soit mises sous le boisseau. Et la papauté du pape François a montré de nombreuses déceptions de la part du peu de courage de la hiérarchie de l’Église. Lors du synode sur la famille en 2014 et 2015, les évêques ne sont pas arrivés à un consensus sur l'accueil dans l'Eglise des personnes en union libre, homosexuelles et divorcées, n’allant pas dans le sens du pape François qui avait souhaité que l'Église fasse son "aggiornamento" en remettant le mariage traditionnel à l'honneur mais aussi en se montrant plus bienveillante à l'égard tous ceux qui ne sont pas "en règle" (https://www.tf1info.fr/societe/synode-sur-la-famille-un-geste-pour-les-divorces-remaries-1534586.html, et https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/10/18/synode-sur-la-famille-rapport-final-approuve-pas-d-accord-sur-les-divorces-et-les-homosexuels_4508588_3224.html). Cependant, le pape François a prôné, dans son "exhortation apostolique" sur la famille en 2016, l'intégration dans l'Église des divorcés remariés, mais sans évoquer leur accès aux sacrements. Rien de nouveau en revanche sur les homosexuels (https://www.france24.com/fr/20160408-pape-francois-divorces-remaries-synode). Le synode sur les jeunes en 2018 avec cette assemblée internationale d’évêques, trop diverse, n’a livré quant à lui aucune proposition concrète admettent les participants. Il faut dire que le document final du «pré-synode», préparé par 300 jeunes du monde entier était bien plus ouvert que le document final. On remarqua l'absence d'engagement envers la tolérance zéro contre les abus sexuels. Il n'y avait pas non plus de mention du rôle des femmes dans le texte, qui avait été un thème clé de la réunion pré-synodale de mars 2018, ainsi que de la discussion synodale d'octobre 2018 (https://cruxnow.com/vatican/2019/04/02/pope-calls-abuse-crisis-a-scourge-in-youth-doc-omits-zero-tolerance). Le sigle LGBT, sur lequel les évêques africains ont mis une chape de plomb, avait déjà été fustigé en amont par un évêque américain conservateur. Sans surprise, il est absent du texte final (https://www.lematin.ch/story/l-eglise-catholique-a-la-peine-avec-les-jeunes-600788088706). Le pape dans son exhortation apostolique en 2019 a appelé ses fidèles à reconnaître la domination masculine et les violences sexuelles infligées aux femmes et aux enfants qui jalonnent son histoire, tout en reconnaissant que les jeunes femmes estiment qu’elles ont besoin de plus d’exemples de leadership féminin au sein de l’Église et en parlant d'une Église engagée "contre toute discrimination et toute violence liées à l'orientation sexuelle". À la conclusion du synode, l’Église est demeurée divisée face à l’urgence d’agir face aux scandales d’abus sexuels. Mais, le pape a tranché et il a organisé un sommet sur la pédophilie au sein du clergé qui a toutefois accouché d’une souris (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1161962/eglise-vatican-pape-synode-jeunes-exhortation). Et lors du Synode sur l’Amazonie en 2019, une série de propositions a été proposée au pape François, bien décidé à ouvrir "de nouvelles voies" à l’Église catholique en Amazonie. Parmi ces propositions, l’ouverture de la prêtrise aux hommes mariés et la possibilité pour les femmes de devenir diacres (https://information.tv5monde.com/info/synode-sur-l-amazonie-de-grands-changements-pour-l-eglise-catholique-329018). Cependant le pape dans son exhortation apostolique en 2020 n’en appelle cependant pas à ordonner des hommes mariés, et n’envisage pas non plus d’ordonner des femmes au sacerdoce ou au diaconat (https://www.cathobel.be/2020/02/exhortation-sur-lamazonie-les-quatre-reves-du-pape-francois/).
Un pape qui veut des réformes, une hiérarchie qui n’en veut pas. Et les fidèles qui doivent attendre le bon vouloir de ceux-ci. C’est devenu intenable face aux abus sexuels, la fréquentation des messes en baisse, et la crise des vocations. Il s’arracher à l’abattement ambiant et faire quelque chose. Il faut agir, s’engager, et rejoindre des actions collectives comme Agir Pour Notre Église, des mouvements comme la CCBF, Nous Sommes Aussi l’Église, le Comité de la Jupe, etc. La créativité, est alors une impérieuse nécessité. La crise de l’Église nous oblige à la mission prioritaire de secouer l’apathie ambiante, de mobiliser et de conquérir des couches toujours plus larges du Peuple de Dieu. Pour changer les pratiques de l’Église, une désobéissance bien plus vaste et en constante extension est nécessaire. Sans oublier la préparation des modalités d’installation d’une nouvelle organisation de l’Église reposant sur les évangiles et sur la Tradition débarrassée du cléricalisme. Et cette nouvelle organisation peut prendre l’image que lui a donnée le Secrétaire général du Synode des évêques, le cardinal Mario Grech en 2020, celle de l’Église domestique, «une Église-famille composée d’un certain nombre de familles-Église». «La grande Église communautaire est composée de petites Églises qui se rassemblent dans des maisons.» «Au cours des deux premiers siècles, l’Église se réunissait toujours dans la maison familiale.» Il reconnaît que dans cette Église domestique, les «ministres du culte» sont «les parents qui, pendant la liturgie domestique, rompent le pain de la Parole, prient avec elle et transmettent la foi à leurs enfants». Enfin, pour le cardinal Grech, une option pour des églises domestiques ne signifie pas pour autant la liquidation des paroisses : «La liturgie familiale elle-même initie les membres à participer plus activement et consciemment à la liturgie de la communauté paroissiale.» Et «Dans le cadre d’une Église synodale qui marche ensemble avec les hommes et les femmes et participe aux travaux de l’histoire, nous devons cultiver le rêve de redécouvrir la dignité inviolable des peuples et la fonction de service de l’autorité. Cela nous aidera à vivre d’une façon plus fraternelle…» (https://nsae.fr/2020/12/20/cardinal-mario-grech-la-bonne-nouvelle-synodale/). Marie-Françoise Baslez avec plus de précision nous montre dans L’Église à la maison. Histoire des premières communautés chrétiennes. Ier-IIIe siècle en 2021 que le fait que durant presque trois siècles les chrétiens se sont réunis pour le culte dans des maisons particulières ne saurait être oublié puisqu’ils étaient aussi des petits laboratoires où s’est expérimentée peu à peu l’organisation de la vie des premiers chrétiens, cette configuration a permis autant un réel brassage social, avec la participation des esclaves, qu’une émancipation non négligeable des femmes, qu’elles soient mariées ou bien vierges ou veuves, qui ont pu faire partie du collège de diacres, de presbytres et d’épiscopes tous mariés, et dont l’effacement remonte à la fin du 2e siècle et au début du 3e, avec la disparition progressive des Églises de maisonnée et l’intégration progressive du culte dans l’espace public, tout en fonctionnant plutôt en réseaux, au maillage souple qui pouvait être étendu, où l’échange épistolaire (avec lesquels l’évêque d’une grande ville s’efforce d’établir son autorité sur les territoires voisins et les Églises rurales par des visites pastorales) entre elles fut décisif pour leur développement en la mise en place d’Églises-sœurs fonctionnant de façon synodale, dont les synodes à la fin du 2e s. en sont l’aboutissement de la structuration des Églises en réseaux dans lesquelles se développaient plus l’idée de service que celle de la domination valorisant davantage l’amour fraternel au sein de la communauté où c’est sur la personne que l’accent est mis, davantage que sur le statut, et cela peut certainement inspirer les chrétiens d’aujourd’hui dans leurs manières de concevoir et de vivre l’Église…
Nous paroissiens progressistes en cette année à venir nous continueront à contester ces réflexes centralisateurs au sein de l’Église catholique, et opteront toujours pour qu’elle ne reste indifférente au «choix préférentiel des pauvres», et pour rappeler que le message de Jésus de Nazareth peut se vivre au quotidien.
Bonne année à tous !
Alexandre et Raphaël Casimiro