Léonard Cassette dans Liberation.fr nous montre que c’est un autre développement d’une affaire qui paraît sans fin. Près de deux mois après la publication d’un premier rapport mettant en cause l’abbé Pierre – mort en 2007 – pour des faits d’agressions sexuelles (Baisers imposés, fellations forcées, propos à caractère sexuel...) commis entre la fin des années 70 et 2005 sur sept femmes (24 femmes sont aujourd’hui parlé) dont certains peuvent s'apparenter à des viols, ou concernent des mineures, la cellule investigation de Radio France révèle le lundi 9 septembre 2024 de nouveaux documents. Notamment des lettres manuscrites rédigées par le prêtre, menaçant les personnes de son entourage mettant en cause son comportement (https://www.france24.com/fr/france/20240909-abus-sexuels-connus-de-l-%C3%A9glise-indemnisations-suites-judiciaires-retour-sur-l-affaire-abb%C3%A9-pierre).
Dans une missive griffonnée à la fin de l’année 1955, Henri Grouès (le nom à l’état civil de l’abbé Pierre) s’adresse à un étudiant américain, Marshall Suther, quelques mois après son retour d’un séjour aux Etats-Unis : «Tu promettais de ne plus te mêler de cette multitude de choses où tu ne sais accumuler que des ravages, chaos et infection», écrit le religieux. «Sache que pas une récidive ne restera sans réponse, et s’il le faut [mes réponses seront] brutales, chirurgicales.» Cependant les messages de l’abbé Pierre à l’étudiant américain, tels qu’ils sont cités et diffusés par Radio France, sont à prendre avec prudence. Selon les mêmes documents en possession de Libération, il s’agit de brouillons rédigés par Grouès, ce que confirme une chercheuse, sans que l’on sache s’ils ont été envoyés ou non, en l’état, à Suther.
Le séjour américain de l’abbé Pierre – sous forme de tournée dans plusieurs villes entre avril et mai 1955 – a viré, comme le révélait Libé début août, au désastre. Si le prêtre a rencontré le président Eisenhower à la Maison Blanche, sa visite a tourné court : son comportement a été dénoncé par plusieurs femmes à New York, Chicago et Washington. Pour éviter le scandale, la décision a été prise en urgence d’abréger le séjour et d’exfiltrer l’abbé Pierre. La cellule investigation de Radio France affirme ce lundi que Marshall Suther – qui a participé à l’organisation de la visite outre-Atlantique d’Henri Grouès – avait alors prévenu un proche de l’abbé Pierre par courrier : «J’ai vu tant de choses pendant le voyage, des façons d’agir du Père comme individu. Je pense, par exemple, à Chicago, quand il avait été explicitement décidé que la condition de continuer le voyage, était que le père ne soit jamais seul. Il était d’accord et après [il disparaissait] pendant des heures, au point d’être en retard pour une réunion.» «Il n’est pas explicitement fait référence aux pulsions du prêtre, mais le message est passé», précise Radio France.
Selon des documents consultés par Libération, d’importantes personnalités de la hiérarchie catholique étaient au courant du comportement problématique de l’abbé Pierre depuis les années 50. Il a d’ailleurs été mis sous la surveillance de l’Église par un «socius», Jacques Monnier : un chaperon et conseiller spirituel qui l’accompagne en tout temps et à qui il est demandé de mettre son protégé à l’écart. «Nous avons vu l’évêque de Grenoble [le diocèse où l’abbé Pierre a été ordonné]. Comme tout le monde, il souhaite que vous puissiez vous cacher un an. Ce serait une reprise de force morale et physique après votre secousse», écrit Jacques Monnier à l’abbé, dans un courrier révélé lundi par Radio France.
Le prêtre est interné en Suisse en 1958 à la clinique psychiatrique de Prangins pour des cures de sommeil, officiellement pour raison de santé. D’après l’historienne Axelle Brodiez-Dolino, interrogée par Radio France, «la véritable raison de cet éloignement est bien la peur d’un scandale sexuel. L’Église avait besoin de l’abbé Pierre qui redorait son image et sa popularité et ne pouvait pas se permettre qu’un tel scandale n’éclate». Malgré ce temps d’isolement, les agissements du prêtre semblent se reproduire en 1959 au Québec. Dans une autre lettre datée du 6 septembre, révélée par la radio publique, l’abbé Pierre écrit : «Tout est faux dans ces accusations. Jamais rien de ce genre de misère n’a existé, jamais ça n’a existé où que ce soit, aucun de ces faits de police misérables dont vous avez parlé. S’il faut plus que ma parole, je puis vous donner de cela le serment.» Henri Grouès s’adresse alors à un cardinal québécois qu’il pense être au courant de ses pratiques. Il nie et continue à se faire menaçant : «Il faut que ceux qui tiennent ces propos sachent que, s’ils confirment de telles calomnies infâmes, je ne pourrai pas ne pas les poursuivre devant les tribunaux.»
Dans un autre courrier – daté de juin 1958 – rendu public ce lundi, l’abbé est qualifié de «grand malade» par l’archevêque de Paris, le cardinal Feltin. Au sein du mouvement Emmaüs, d’anciens cadres affirment auprès de Radio France que les pulsions du prêtre étaient connues et que consigne était donnée «de ne pas laisser l’abbé Pierre seul avec une femme parce qu’il pouvait mal se comporter». Selon l’un d’entre eux, le dernier secrétaire particulier de l’abbé Pierre, Laurent Desmard, lui aurait confié en 2010 [trois ans après la mort du prêtre] être rodé pour éviter les agressions de l’homme d’Église sur les femmes : «Il y avait des signes avant-coureurs : le visage et les yeux de l’abbé Pierre se transformaient. [Laurent Desmard] se tenait prêt à intervenir pour séparer physiquement l’abbé des femmes qu’il recevait.» (https://www.france24.com/fr/france/20240909-abus-sexuels-connus-de-l-%C3%A9glise-indemnisations-suites-judiciaires-retour-sur-l-affaire-abb%C3%A9-pierre).
Plus tard, en 1963, le théologien français André Paul a lui aussi vent des agressions commises par l'abbé Pierre. "Un prêtre québécois me révèle qu'[il] s'est livré à des agressions sexuelles sur des femmes, à Montréal, raconte-t-il. C'est pourquoi il a dû quitter le pays avec la consigne expresse de ne plus y revenir. L’affaire a été suivie par la police et les instances judiciaires. Le cardinal de Montréal est intervenu pour que l’abbé Pierre ne soit pas poursuivi, à condition qu’il ne remette plus les pieds sur place." Radio France a également interrogé un documentariste témoin d'un échange – dans les années 1990 – entre l'abbé Pierre et une jeune femme, à l'égard de laquelle il tient des propos à caractère sexuel. "Au bout de quelques secondes de conversation, l'abbé Pierre a demandé à cette femme s'il lui arrivait de penser à lui. Elle a répondu un peu gênée que oui, cela lui arrivait, relate le documentariste. Et [l'abbé Pierre] a enchainé en lui demandant : 'Est-ce que tu te touches en pensant à moi ?'"(https://www.france24.com/fr/france/20240909-abus-sexuels-connus-de-l-%C3%A9glise-indemnisations-suites-judiciaires-retour-sur-l-affaire-abb%C3%A9-pierre).
Vendredi 6 septembre, une nouvelle salve d’accusations de violences sexuelles visant l’abbé Pierre a été rendue publique dans un rapport : «À ce jour, il est possible d’identifier au moins 17 personnes supplémentaires ayant subi des violences», notait le cabinet spécialisé Egaé. Ces dernières font dans leur grande majorité état de contacts «non sollicités sur les seins», de «baisers forcés», mais également de «contacts sexuels répétés sur une personne vulnérable», d’«actes répétés de pénétration sexuelle» ou encore de «contacts sexuels sur une enfant». Une femme témoigne notamment avoir subi, en 1974 et 1975 en Ile-de-France, des «baisers forcés» et «des contacts» non sollicités alors qu’elle avait 8 à 9 ans. La Fondation Abbé-Pierre a annoncé sa décision de changer de nom. L'association a également annoncé la fermeture définitive d'un centre mémoriel dédié à l'abbé Pierre à Esteville, en Seine-Maritime. Lundi, la ville de Nancy a pour sa part annoncé le retrait d'une plaque commémorative, posée sept mois plus tôt en hommage à l'abbé Pierre, en raison des nombreux témoignages accusant l'ancien prêtre de violences sexuelles. "Compte tenu de ces graves révélations, la municipalité de Nancy a décidé du retrait définitif de la plaque en la mémoire de l'abbé Pierre", écrit dans un communiqué la ville dirigée par le socialiste Mathieu Klein. (https://www.france24.com/fr/france/20240909-abus-sexuels-connus-de-l-%C3%A9glise-indemnisations-suites-judiciaires-retour-sur-l-affaire-abb%C3%A9-pierre).
Emmaüs International a d’ailleurs admis étudier une éventuelle l’indemnisation des victimes de l’abbé Pierre, a fait savoir lundi son directeur général. «C’est une question très importante sur laquelle nous travaillons, à laquelle nous réfléchissons actuellement», a déclaré Adrien Chaboche interrogé sur RTL. «C’est un processus qui prend un petit peu de temps», mais «nous y travaillons». En raison des nouvelles révélations, la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), Sr Véronique Margron, a plaidé samedi pour l’instauration d’un "processus de justice, de reconnaissance, de réparation", à l’image de ce qui a été fait après le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. "Tout porte à croire" par ailleurs qu'au vu "des faits commis sur une telle ampleur de temps, nous ne savons pas encore tout", a ajouté Adrien Chaboche. "Il y a sûrement d'autres faits, nous nous attendons à voir d'autres témoignages. La ligne d'écoute reste ouverte pour l'instant jusqu'à la fin de l'année a minima". Cette démarche, rare, a été saluée par plusieurs personnalités et associations de défense des droits des femmes et de lutte contre les violences sexuelles. (https://www.france24.com/fr/france/20240909-abus-sexuels-connus-de-l-%C3%A9glise-indemnisations-suites-judiciaires-retour-sur-l-affaire-abb%C3%A9-pierre).
Décédé en 2007, l'abbé Pierre ne peut plus faire l'objet de poursuites judiciaires. D'ailleurs, la plupart des faits qui lui sont reprochés sont aujourd'hui prescrits (une victime de viol, majeure au moment des faits, dispose de 20 ans pour porter plainte à compter de la commission de l'infraction; et de 30 ans à compter de sa majorité si elle était mineure). Après la publication du second rapport du cabinet spécialisé Egae, vendredi, plusieurs associations ont réclamé des suites judiciaires. Sur franceinfo, le cofondateur de l'association de défense des droits de l'enfant, Mouv'Enfants, Arnaud Gallais, a estimé "scandaleux que la justice soit silencieuse", exigeant une "autosaisine du parquet" au nom de la "dignité pour les victimes". La question de ce que les organisations caritatives, leurs membres et leurs responsables savaient, et de ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait, est également posée. "Comment se fait-il que l'abbé Pierre, pour des faits allant des années 1950 aux années 2000, ait pu agir de la sorte sans que ce soit dit, dénoncé ?", s'est interrogé Christophe Robert, directeur général de la Fondation Abbé-Pierre, samedi sur France 5. L'abbé Pierre "ne pouvait pas se cacher, il y a forcément des dizaines de personnes qui ont vu" et "n'ont rien dit", estime quant à elle Sr Véronique Margron dans le Parisien. "Si les institutions avaient fonctionné, il n'aurait pas eu tant de victimes", a-t-elle complété plaidant pour la création d'une instance de réparation (https://www.france24.com/fr/france/20240909-abus-sexuels-connus-de-l-%C3%A9glise-indemnisations-suites-judiciaires-retour-sur-l-affaire-abb%C3%A9-pierre).
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