Publié le 18 Juillet 2024
Sascha Garcia dans liberation.fr le mercredi 17 juillet 2024 a interrogé la théologienne Véronique Margron, présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses en France), qui lutte contre les violences sexuelles dans l’Eglise catholique française, qui est revenu sur les révélations à l’encontre de l’abbé Pierre. Auprès de Libération, elle ne s’étonne pas de ces révélations, et dénonce le manque de vigilance face à de telles figures tutélaires, car comme elle l’indique : «comme dans beaucoup d’autres affaires, ce qui est très impressionnant, c’est l’impunité dont il a pu jouir, et ce jusqu’à sa mort ! Cet homme a agressé des femmes - un prêtre par-dessus le marché - pendant plus de 30 ans, et il ne se passe rien».
Elle doute du fait «que les compagnons de route de l’abbé Pierre n’aient rien vu. Je ne peux pas le croire. D’autant plus qu’il n’avait pas vraiment l’air de se cacher.», et elle salue «le courage qu’il a fallu aux victimes pour oser dénoncer cette figure», car «C’est presque comme toucher au sacré. Il était considéré comme tel par tant de personnes dans la société. Nous avons un vrai problème avec les personnalités charismatiques. Soit parce qu’elles emportent les foules, soit parce que, comme l’abbé Pierre, elles ont réalisé des actions très importantes. D’un seul coup, face à ces hommes, il n’y a plus aucun esprit critique. Ce que cela dit de l’Eglise catholique, c’est que, décidément, nous manquons de la vigilance la plus élémentaire sur les comportements des hommes, d’autant plus lorsqu’ils sont célèbres. Et je pense que ça, c’est extrêmement grave et c’est une tragédie. On dirait que l’Histoire ne nous apprend rien.»
Elle explique aussi pourquoi les faits se seraient déroulés durant plusieurs décennies, car «Beaucoup de victimes parlent très longtemps après les faits, y compris après la mort de leur agresseur. Et cela vaut aussi pour les cas de figure où l’agresseur n’est pas une figure tutélaire comme l’était l’abbé Pierre. Dissociation traumatique, culpabilité, honte… C’est un mélange de tout ça. Mais la figure de l’abbé Pierre en a rajouté une couche, c’est sûr. Je me rappelle cette femme venue me parler, qui me disait : «Je ne veux pas faire de mal au mouvement Emmaüs.» Je lui ai répondu : «Mais même si ça lui faisait du mal, c’est votre vie avant tout, c’est ça qui compte.» Elle avait vraiment peur que sa parole entache le mouvement.» Et heureusement «Les organisations auraient pu dissimuler toutes ces informations, mais elles ne l’ont pas fait.» Et pour elle, «ils ont eu le courage de le faire car ils ont vraiment cru ces personnes, qui ont réclamé une enquête indépendante. Ils ont fait cela en toute conscience de la nécessité pour les victimes, et pour eux-mêmes, de faire la lumière autant que possible sur les agissements de l’abbé Pierre. Et ce, peu importe les conséquences que cela aura sur le mouvement, par exemple en termes de donateur.»
Enfin, elle est partagée à propos de savoir si une nouvelle libération de la parole de femmes victimes de violences sexuelles dans l’Église aura lieu, car «D’un côté, j’ai envie de vous dire : j’espère ! A partir du moment où des victimes sont identifiées, on peut craindre que beaucoup d’autres ne le soient pas. Alors si cela peut permettre à ces personnes d’être crues, reconnues, et un tout petit peu réparées, je le souhaite. Que ce soit les potentielles autres victimes de l’abbé Pierre, ou tout autre membre de l’Eglise. Si ce rapport peut aider les victimes à parler, ce sera toujours ça pour ce que j’appelle «une vie restaurée». Après la diffusion du rapport de la Ciase, en 2021, j’ai reçu des centaines et des centaines de témoignages dans la semaine. Et je crois que ce nombre de 200 000 victimes est en deçà de ce qu’il en est réellement.»
Hier, libération.fr nous montre dans son article (https://www.liberation.fr/societe/religions/labbe-pierre-accuse-dagressions-sexuelles-par-plusieurs-femmes-20240717_QKT3PZZZVBCOZEEU52U5UGR7YY/) que le second vice-président de la Conférence des religieux et religieuses de France, Michel Laloux, décrit à Libé une «libération de la parole absolument essentielle» et appelle à ce que ces témoignages soient crus et écoutés «en profondeur» : «Je ne connais pas le cas de ces sept femmes, mais je suis en contact avec des personnes victimes et c’est terrible ce que ça peut produire comme ravages.» Et de décrire des cauchemars, la dégradation de la santé physique et psychique ou la dévalorisation de soi que peuvent éprouver les personnes victimes qu’il accompagne. «Les actes et les paroles» de l’abbé Pierre entrent aujourd’hui dans «une contradiction terrible» pour le frère Michel Laloux : «C’est d’autant plus triste qu’il a fait énormément de choses pour les personnes qui vivaient dans la misère.»
Enfin la-croix.com (https://www.la-croix.com/france/martin-hirsch-sandrine-rousseau-les-premieres-reactions-aux-revelations-sur-l-abbe-pierre-20240717) nous montre que Plusieurs personnalités ont réagi aux accusations d’agressions sexuelles mettant en cause l’abbé Pierre et révélées dans un rapport publié mercredi 17 juillet. «Quand nous avons reçu le premier témoignage… ça a été un choc terrible. C’était une déflagration», a assuré Christophe Robert, délégué général de la Fondation abbé Pierre, sur France 2. «On s’est dit» qu’il fallait «faire la lumière», «donner la parole à ces victimes, pour que nous puissions, de toutes nos forces, les soutenir et qu’elles puissent être entendues», dit-il, se disant «triste» et «en colère». «Ce que nous dit le cabinet qui a mené ce travail d’écoute auprès des victimes, c’est que quand on a une telle amplitude de temps (…), où nous avons identifié sept victimes, ça veut dire qu’il y en a probablement d’autres», ajoute Christophe Robert.
«Je suis surprise de ces accusations, j’ai du mal à y croire», a confié Annie Porte, filleule de l’abbé Pierre et le premier enfant né dans une cité Emmaüs en 1951, à France Bleu Mayenne, Celle dont la photo avec l’abbé a été immortalisée sur une célèbre une de Paris Match, en 1954, s’interroge sur les raisons qui ont poussé à ces femmes à témoigner si longtemps après la mort de l’abbé Pierre, soulignant que ce dernier «ne peut pas se défendre». Annie Porte assure que l’abbé Pierre s’est toujours très bien comporté quand elle le recevait dans sa famille : «Il s’est toujours conduit comme un grand-père, quelqu’un de très gentil, de correct».
Président d’Emmaüs France entre 2002 et 2007, ancien haut-commissaire aux solidarités actives dans le gouvernement de François Fillon, Martin Hirsch retient des révélations le travail «rigoureux» de l’association. La députée écologiste Sandrine Rousseau, qui a fait du combat féministe l’un des marqueurs de son action, a fait part de sa colère sur le réseau social X. Enfin, Henri de Beauregard, avocat et président de la Haute Autorité des Républicains, a de son côté dénoncé une enquête sur «un homme mort depuis 17 ans».
Et après la publication de ce rapport levant le voile sur des accusations d’agressions sexuelles à l’encontre de l’abbé Pierre, de nombreux catholiques font part de leur désarroi, car l’onde de choc a dépassé les murs de l’Église, tant l’admiration vouée à cet inlassable défenseur des plus pauvres est restée prégnante dans la société. Sans remettre en cause la fécondité de son œuvre, certains veulent alerter contre les risques de «starification» de telles figures charismatiques (https://www.la-croix.com/religion/affaire-abbe-pierre-des-catholiques-entre-colere-deni-et-sideration-20240718).
Merci !