L'Immaculée conception, réalité ou croyance ? (1ère partie)

Publié le 15 Décembre 2013

Dimanche 8 décembre, nous avons fêté l'Immaculée Conception, terme qui a été traduit du latin. Ce terme est composé de deux mots : d'abord, inmacula, composé de in, sans, et macula, maculé, c'est-à-dire sans tâche, et ensuite, conceptio, grossesse. En gros, une grossesse sans tâche.

Je devine que vous allez poser la question : Qu'est-ce que cela veut dire ?

Eh bien, il suffit de lire la bulle du Pape Pie IX, Ineffabilis Deus, c'est-à-dire Dieu ineffable, ou indicible, en gros qu'on ne peut reconnaître, ni exprimé, qui date du 8 décembre 1854, c'est-à-dire le jour même de la fête. Voilà ce qu'exprime la déclaration dogmatique à la fin du document : " Nous déclarons, Nous prononçons et définissons que la doctrine qui enseigne que la Bienheureuse Vierge Marie, dans le premier instant de sa Conception, a été, par une grâce et un privilège spécial du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute tache du péché originel, est révélée de Dieu, et par conséquent qu'elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. "

Une question doit déjà être posé : qu'est-ce que le péché originel pour que Marie, la mère de Jésus, en soit préservée ?

Le péché originel est, en fait, une création de l'évêque d'Hippone, Augustin, qu'il exprime pour la première fois en 396 dans son livre Ad Simplicianum, mais il insistera beaucoup plus sur ce sujet dans la controverse qu'il aura entre 412 et 430 avec le moine breton, Pélage, venu d'Orient et ses disciples, les Pélagiens, pour qui l'homme pouvait, par son seul libre arbitre, s'abstenir du péché, et n'était donc pas redevable de celui originel d'Adam qui n'a nui qu'à sa seule personne.

Par contre, Augustin d'Hippone pensait différemment, du fait du passage de l'épître de Paul aux Romains (5, 12) : « Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a atteint tous les hommes : d’ailleurs tous ont péché… » (traduction de la T.O.B.) D'après son interprétation, le péché serait venu dans le monde par le péché du père de l'humanité, Adam et se serait transmis par lui à tous les hommes, ce péché pour Augustin, qui était devenu un ascète, était le sexe. Cependant, le passage qu'utilise Augustin est celui de la version latine (dite « vieille latine »), qui est très différent des versions grecques du texte : " Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi le péché a atteint tous les hommes en lequel péché. " Il modifiera la fin de la traduction de la fin du passage incompréhensible en " en lequel Adam tous ont péché ", forçant nettement le texte. Le mot " mort " manquant dans la seconde partie de Romains 5, 12 pose problème car de cette façon, comme l'indique très bien Athanase Sage, dans une étude sur Le péché originel dans la pensée de Saint Augustin, de 412 à 430 (Rome, 1968), et dans l'article de Vittorino Grossi et Bernard Sesbouë sur le « Péché originel et péché des origines : de saint Augustin à la fin du Moyen Âge », dans l'ouvrage dirigée par le premier, L’homme et son salut (Paris, Desclée, 1995, p. 168-169), cela a pu induire l'évêque d'Hippone en erreur, car Augustin comprend simplement « péché », lecture qui exprimait l’idée de transmission par Adam de ce dernier et non pas de la mort. À cela, s'ajoute un autre problème dû encore à la traduction du grec au latin : à la fin du verset, le « eph’ô » est une expression idiotique grecque qui a un sens causal : « du fait que tous ont péché », renvoyant aux péchés personnels de chacun, à travers lesquels le péché atteint tous les hommes. Mais Augustin, et avant lui Ambroise, suivent une traduction littérale par un relatif « in quo », « dans lequel » du fait que le mot « mort » ne s'y trouvait pas. Augustin estime donc que l’antécédent de ce relatif ne peut-être que le terme de « péché », qui, dans la version de son texte s'y lit au début de la seconde partie du texte de Romains 5, 12, ou bien à Adam lui-même, expliquant peut-être la modification de la traduction par Augustin évoqué plus haut. Une traduction que n'aurait pas permis la version en grec où l’antécédent « hamartia/péché » est féminin, alors que « thanatos/mort » est masculin.

Paul de Tarse a écrit en grec l'épître aux Romains, et donc n'avait pas la même définition que celle de l'évêque d'Hippone au sujet de ce verset dont il est l'auteur. En effet, il faut tenir compte aussi du contexte où il a vécu qui n'est pas celui d'Augustin.

Si l’on tient pour vraie la déclaration de Paul à propos de sa formation intellectuelle, il est un pharisien ou un de leur sympathisant. Il pratique donc les règles d’herméneutique (middot) pharisiennes, dont la lecture typologique fait partie. Le principe en est « ma' assei avot siman lebanim » (« la geste des pères est un miroir pour les fils »). Ce qui signifie dans l'Ancien Testament et plus particulièrement dans Romains 5, 12 : « tout ce qui a été vécu par les patriarches (dont Adam) qui devra advenir à leur descendance ». Ecclésiaste 1, 9 est un bel exemple de cette ligne de pensée spécifiquement juive : « Ce qui a été, c’est ce qui sera, ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera : rien de nouveau sous le soleil ! » Ce qu'entend Paul simplement c'est que « le péché d'Adam a donc provoqué sa mort et celle de ses descendants - la mort étant le châtiment du péché ; entre autres termes, si les êtres humains sont mortels, c'est parce que tous ont péché » (Geza Vermes, Enquête sur l'identité de Jésus. Nouvelles révélations, Bayard, Paris, 2003, p. 99). Ici, c'est pour mettre en valeur le rôle de Jésus, qui, par la mort sur la croix et la résurrection, a vaincu la mort venue du fait du péché du père de l'humanité, rendant la vie à tous ceux qui sont unis, tel le père d'une nouvelle humanité : « De même en effet que, par la désobéissance d’un seul homme, la multitude a été rendue pécheresse, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, la multitude sera-t-elle rendue juste. » (5, 19.)

Cette pensée n'est pas différente des auteurs juifs ou judéo-chrétiens, qui réfléchissent sur les conséquences de la destruction du Temple après 70, au même moment où les épîtres de Paul diffuse cette idée dans les communautés chrétiennes de langue grecque entre les années 80 et 135 : « Si Adam a péché et amené sur nous tous une mort prématurée, chacun de ceux qui sont issus de lui est responsable du tourment préparé pour son âme, et chacun d'eux à choisi pour lui-même les gloires à venir... Adam n'a donc été la cause que pour lui-même, et chacun de nous est devenu l'Adam de sa propre âme. » (Apocalypse de Baruch syriaque, 54, 15-19). Une vision proche de celle de Paul, pour qui si les hommes continuent à mourir c'est parce qu'ils continuent à pêcher individuellement. Le quatrième livre d'Esdras donne une explication : « Tu n'as cependant pas extirpé d'eux le cœur mauvais, pour que ta loi portât du fruit en eux. Car un cœur mauvais habitait le premier Adam dès l'origine, et il transgressa et fut vaincu, et avec lui tous ceux qui naquirent de lui. » (3.) En fait, c'est un concept ancien que l'on retrouve dans la communauté de Qumran, celui des deux esprits, « un esprit de vérité et un esprit mauvais » (1 QS 3, 18-19) et dans la littérature rabbinique, celui du mauvais penchant (yetzer ra’) et du bon penchant (yetzer tov). Une dualité qui existe pour les juifs dans chaque homme. Après tout, pour les Juifs, Dieu reste maître de la création dans sa totalité. Dans Isaïe 45, 7, ne dit-il pas : « je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur : c’est moi, le SEIGNEUR, qui fais tout cela. » Il est donc le créateur de tout ce qui est positif et négatif. Idée que l'on retrouve mais avec plus de force dans le TalmudDieu dit explicitement à Israël : « Mes enfants, J'ai créé pour vous le mauvais penchant [mais, en même temps] J'ai créé la Tora pour le subjuguer. Tant que vous vous consacrerez à la Tora, il ne vous subjuguera pas. » (Sifré deutéronome § 15.)

Cette approche semble être connu de Jésus lui-même tel que le montre la parabole de l'ivraie dans sa forme originale : « Il en va du Royaume des cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain. Pendant que les gens dormaient, un de ses ennemis est venu et sema la zizanie parmi le bon grain. Quand apparurent les zizanies, les serviteurs lui disent : “Veux-tu que nous allions l'arracher ?” “Non, dit-il, de peur qu’en arrachant la zizanie vous n'arrachiez le blé avec elle. Au temps de la moisson, elles seront arrachées. » Il faut, cependant, s'écarter de la définition simpliste que donne beaucoup trop d'exégètes, parmi lesquels Daniel Marguerat, où le bon grain représente les « fils du royaume » et la zizanie, l'ivraie, représente les « fils du malin », surtout si l'on tient compte des éléments précédents. Pour Geza Vermes, le contenu en aurait été modifié par l'Église primitive (L'Évangile des origines, Bayard, Paris, 2004). Il faut donc se replacer dans le contexte où a été dite la parabole. Ici, il n'y a pas de champ comme dans l'évangile de Matthieu. Ensuite, la pointe du récit ne concerne que la zizanie, l'ivraie, et le bon grain. Il faut se souvenir que Jésus, dans la traduction originale de Luc 17, 21, dit : « Le royaume de Dieu est au-dedans de vous. » L’original grec entos humôn, et son exacte traduction latine dans la Vulgate intra vos, n’ont jamais signifié autre chose qu’« à l’intérieur de vous » ou « en vous ». Et donc, que ce sont par nos actions, le bon grain, que le Royaume va advenir, ce qui ne sera pas sans risque avec l'opposition de l'empereur de Rome et de ses collaborateurs, c'est lui que l'Apocalypse et probablement le récit de la Tentation des évangiles synoptiques désignent sous le nom de Satan, dont une des traductions est l'adversaire. Ce serait probablement lui que l'on désigne par le terme : « un de ses ennemis », tant la tentation de l'hellénisme était forte même parmi les éléments dirigeants du Temple. Le fait que les gens dorment signalent que Jésus reproche aux autorités juives de ne pas avoir saisi les dangers de l'occupation romaine sur la culture juive, et qu'ainsi Rome a pu faire son œuvre. Donc l'arrivée du Royaume qui se trouve en nous est victime du mauvais penchant ou de l'esprit mauvais qui est en nous et qui se laisse tenter par une certaine image du progrès qui va jusqu'à effacer sa culture. Jésus est réaliste car il juge que Dieu seul pourra une fois le Royaume arrivé, retirer ce dernier de chacun de nous, mais la séparation indique que chaque homme peut-être sauvé s'il a agit, à l'image de Jésus, pour la venue du Royaume.

Cette vision du péché vient du fait que le terme grec harmatia et le terme hébreu équivalent, hatta' t, signifie simplement « manquer le but ou la cible », c'est-à-dire faire une erreur. Un terme bien loin d'indiquer une quelconque séparation d'avec YHWH Elohim, ce que ne dit jamais Paul dans Romains 5, 12. D'ailleurs, le récit de Genèse 3 n'utilise jamais ce mot qui n'apparaît qu'en Genèse 4, 7 et pour mettre en valeur l'attitude de Cain, jaloux de son frère, Abel : « Si tu n’agis pas bien, le péché, tapi à ta porte, te désire. Mais toi, domine-le. » C'est nos actions qui nous font péché selon Dieu. En cela, Paul et Dieu sont très proche dans leur interprétation de ce qu'est le terme hatta' t. Dans le récit où Adam et Ève mange le fruit de l'arbre de la connaissance, Dieu donne la raison de la chute de l'homme, le fait qu'il n'est pas respecté son ordre : « tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. » (2, 17.) Adam et Ève, dont la curiosité ont été plus forte, n'ont pas respecté l'ordre de Dieu en écoutant le Serpent et sont donc devenus mortels. Il n'y a donc pas de péché originel, qui n'est pas plus évoqué au sujet de Caïn. Ici, le fait de ne pas obéir à Dieu renvoie à un contexte historique. Les voisins d'Israël adoraient le serpent pour obtenir fertilité et fécondité, que l'on retrouve dans les deux promesses du serpent, celle de la connaissance et de la vie, et il y a des traces de ce culte en Israël (Nombres 21,4-9; 2 Rois 18,1-5; Sagesse 16,5-14), ce qui explique pourquoi il parle à Ève, la femme, symbole de vie et de fécondité. Ainsi, l'auteur du récit entend lutter contre les cultes cananéens de la fécondité, mais il s’en prend aussi à une sagesse humaniste qui était prisée à la cour des rois de Juda entre le VIIIe et le VIIe siècle, donc à la réflexion savante venue surtout de l'Assyrie, de Babylone et de l'Egypte, les puissants voisins du petit royaume. Voilà l'origine de la mort, l'idolâtrie et le manque de patriotisme ! Nous n'avons donc aucune raison d'être inquiet.

Freyr1978

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Rédigé par paroissiens-progressistes

Publié dans #Culture biblique

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G
Très bon texte même si je ne partage pas toutes vos analyses.<br /> Toutefois votre phrase finale me laisse perplexe , cadre entre l'idolâtrie de l'argent et le manque de patriotisme , nous avons tout à craindre.
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