L'Église catholique, usine de pédophiles
Publié le 23 Août 2018
Celso Alcaina, un ancien fonctionnaire de la curie, nous livre son point de vue sur la pédophilie dans l’Église dans son article sur periodistadigital.com de ce jeudi 23 août 2018 :
«Dans son livre «L'amour à Comillas», l'ex-jésuite José Manuel Ruíz Martos recrée l'atmosphère qu’il a vécu pendant neuf ans dans le collège séminaire Comillas Santander. Il le fait en pimentant sa propre expérience dans la fiction. Ce sont les années avant le Concile Vatican II. Les protagonistes de son roman font face au système d'éducation sexuelle en vigueur dans ce centre ecclésiastique. Ils le font avant l'inoculation de la diabolisation du sexe opposé par le biais d'un célibat clérical et non par des tendances homosexuelles innées ou spontanées.
Rosendo et Juan Miguel sont deux amants clandestins. Ils ne sont pas gays. Leur comportement est un substitut à la relation hétérosexuelle. Tous deux ont mis de côté le célèbre directeur spirituel, le Père Nieto qui, bâillonné par le secret de la confession, ne peut éviter l'ordination sacerdotale de l'un des deux "pécheurs". Les autres meurent noyés la veille de la cérémonie. Une fatalité sponsorisée par Nieto. Dans le roman (ou rapport), l'auteur note également des expulsions suspectes périodiques de séminaristes de vingt ans, toujours par paires.
Le récent tsunami sur un piédestal en Pennsylvanie me pousse à participer avec quelques réflexions aux réactions discrètes des responsables de l’institution catholique. Le contenu du volumineux rapport du "grand jury de Pennsylvanie" est nauséabond et conduit à la condamnation de l'Église catholique. Non seulement pour avoir fait taire et caché les criminels, mais aussi pour être l’origine et la cause de tels sujets qui grandissent dans leurs rangs.
C'est le sommet de l'iceberg. Il est limité à soixante-dix ans après 1963. Il est limité à l'un des cinquante États américains. 1000 agressions de mineurs par 300 prêtres sont documentées. Combien peuvent être ceux qui n'ont pas été documentés ou détectés en Pennsylvanie et aux États-Unis ? La recherche est chronologiquement et géographiquement limitée. Nous savons quelque chose de crimes similaires dans les diocèses américains. Souvenons-nous de Washington (Cardinal McCarrick) et de Boston (Cardinal Law). Le pape a dû simuler des punitions embarrassantes pour sa tolérance évidente ou sa culpabilité directe. Sept décennies de camouflage, de tolérance et de connivence. Et en dehors des États-Unis, un flot de pédophilie cléricale. Je souligne le scandale du Chili où la pédophilie est à la base de la démission collective de tout un épiscopat.
Dans un récent article, le professeur Tamayo parle de l’évidente métastase : «Ce n'est pas une maladie temporaire qui affecte exceptionnellement certains de ses membres, mais un cancer métastatique qui atteint tout le corps de l'Église : les cardinaux, les évêques, les prêtres, les membres de la Curie romaine, les congrégations religieuses, les éducateurs des séminaires, noviciats et religieux, etc. Ces écoles ont été présentées comme des modèles à donner aux autres, se sont rendus coupables de crimes contre des personnes sans défense. Ceux qui se considèrent des experts en éducation ont utilisé leur excellence supposée pour abuser des enfants et des adolescents aux mères et aux pères qui leur ont fait confiance. Ceux qui prétendaient être des «guides des âmes» pour les emmener au ciel par la voie du salut se sont consacrés à souiller leur corps, annuler leur esprit et pervertir leur conscience».
L'actuel archevêque de Boston, le cardinal O'Malley, est le président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs. Avant le rapport sur la Pennsylvanie, il ne pouvait que répondre : "Le temps presse pour nous, dirigeants de l'Église, les catholiques ont perdu patience avec nous, il y a des moments où les mots nous manquent".
Le porte-parole du Vatican, Greg Burke, ne ressent que "honte et douleur". Et il assure que le pape est du côté des victimes. Évident!
Le président de l'épiscopat américain, le cardinal DiNardo, demande des changements dans la pratique de l'Église.
Et le pape François montre sa honte et son impuissance, tout en proposant, sans préciser, des mesures préventives.
Le théologien Tamayo susmentionné se demande si le Vatican et les évêques ont connu de tels outrages. Le rapport de Pennsylvanie répond par l'affirmative. Ils ne les connaissaient pas seulement. Ils les ont cachés. En cas de plaintes, ils ont transféré les prêtres. Ils ont exigé le silence des victimes et des dénonciateurs, sous des menaces spirituelles et temporaires. La "Sainte" Église catholique, son prestige, son inviolabilité ont prévalu. La moralité, l'éthique, la dignité, et les droits de l'homme lui importaient moins.
Mes lecteurs savent que, pendant huit ans, j'ai été officier de la Curie au Vatican avec Paul VI. J'étais précisément dans la Congrégation pour la doctrine de la foi (Saint-Office). Une expérience très enrichissante. Dans ce dicastère, les plaintes et les poursuites pour les crimes et les crimes commis par des religieux dans le monde catholique sont rassemblées et poursuivies. Dans mon livre "ROMA VEDUTA, Monseñor se desnuda", en parlant du "nihil obstat", page 180 de la 2e édition, je soulève un fait éclairant. Copie :
«Objet. Archevêque à un pédophile. J'avais passé beaucoup de temps. Je commençais à écrire mon rapport pour «particolare» (Congrès particulier hebdomadaire pour 4 membres). Mais quelle fut ma surprise quand j'appris que le pape avait mis cet archevêque dans la liste des cardinaux à créer dans le prochain consistoire. Le dossier a été fermé et remis aux archives du Saint-Office. Et la création de cardinaux est absolument un choix personnel du pape, sans aucun conseil ou processus judiciaire. S’il aurait demandé le "nihil obstat", ce hiérarque n'aurait jamais porté la pourpre, il aurait pu être destitué de son diocèse.»
Il est évident que le fait révélé dans mon livre révèle les priorités de l’institution catholique. Vraisemblablement, le cardinal inculpé était un criminel. Peut-être qu’il pourrait continuer à l'être. Qui sait s'il serait tolérant envers les pédophiles. Mais "l'appareil" était au dessus des valeurs. Cela me pique de dire des valeurs "évangéliques". Des centaines de dossiers à caractère sexuel ont été conservés dans la section criminelle du Saint-Office. En m'encadrant dans la section doctrinale, je n'ai analysé qu'occasionnellement des cas de clercs délinquants dans le monde hispanique. Généralement, des cas de pédophilie ont été déposés. Une plus grande attention a été accordée aux cas de "sollicitation en confession", "absolutio complicis" et de violation du secret sacramentel. Dans le pire des cas, le délinquant se voit imposer une suspension temporaire de l'activité sacerdotale ou une réclusion temporaire dans un monastère.
Le Codex, dans son livre VI, mentionne et énumère les crimes et les sanctions pouvant être encourus par les religieux. En matière de crimes sexuels, le législateur accorde la priorité à la protection de l’institution et des sacrements. Il aborde le sujet des crimes extra-sacramentels, tels que la pédophilie. Lisez, sinon, le canon 1395. Prime souvent d’éviter le scandale et de salir sa notoriété qui pourraient nuire au crédit et au prestige de l'institution. Les sanctions pour de tels abus sont ridicules. Les victimes sont ignorées. Rien sur la dissimulation et la destruction des preuves.
Sans aucun doute, ce phénomène honteux a des causes et des origines. Il appartient aux catholiques, et pas seulement à leurs dirigeants, de les identifier et d’agir en conséquence. Il ne suffit pas de dire "je suis désolé". Il ne suffit pas de payer des milliers de dollars aux victimes. La prédication ne donne pas de blé. Une institution dirigée et ritualisée exclusivement par les hommes contribue à la domination despotique masculine. Une institution misogyne avec un célibat clérical obligatoire déforme les consciences. Une institution dogmatique conduit à une domination mentale extrême. Une institution de classe, avec le clergé et les laïcs, avec des mitres et des violets, humilie et soumet les fidèles.
Un minimum de pratique nous amène à demander aujourd'hui une réparation et une indemnisation possibles pour les victimes survivantes. Aussi, une justice civile (pas seulement ecclésiastique) où elle est viable. Mais cela ne suffit pas. Rome, avec sa curie et sa papauté, ainsi que toutes les forces catholiques vivantes, doit sortir du rêve d'un millénaire. Même du rêve de deux millénaires.
Les étudiants en théologie savent que Jésus de Nazareth ne voulait pas d'une Église hiérarchisée et donc dominante. La plupart des conciles appelés œcuméniques ont mis l'accent sur la hiérarchisation et la sacralisation de la vie, ignorant les droits de l'homme aujourd'hui rétablis grâce aux sociétés civiles modernes. Revoir la signification et la valeur de la sexualité est inévitable. Le catholicisme traditionnel indompté continue à le diaboliser avec des aperçus machistes et manichéens. Si l’Église catholique reste ancrée dans le présent, c’est toujours dans le passé, alors nous continuerons à lire des rapports terribles comme le grand jury de Pennsylvanie.»
Comme le montre un article de LePoint.fr du mercredi 22 juin (http://www.lepoint.fr/societe/tout-l-episcopat-se-cache-derriere-le-cardinal-barbarin-22-08-2018-2245011_23.php) ce constat accablant est partagé par Aymeri Suarez-Pazos, président de l'Avref, dénonce la complicité de toute une institution derrière les affaires de pédophilie au sein de l'Église. Comme il le fait savoir : «on peut aussi voir dans cet acte un bouchon qui saute parce que tout l'épiscopat se cache derrière lui. Il n'y a pas de diocèse où il n'y a pas de prêtre pédophile, donc il est étonnant que rien ne soit sorti depuis 20 ou 30 ans dans certains diocèses.»
«La difficulté que l'on retrouve partout dans ce monde catholique, c'est qu'il n'y a jamais de remise en question de la communauté elle-même. Or il ne s'agit pas que de brebis galeuses, c'est tout un système derrière qui couvre les agissements, qui entretient l'omerta. Récemment on l'a vu avec la communauté des Frères de Saint-Jean : même si elle n'était pas directement sur le banc des accusés, sa responsabilité a été pointée du doigt par le procureur. Mais d'un point de vue institutionnel, on ne leur a pas demandé de comptes. Résultat, malgré une procédure de justice, on ne s'interroge pas sur ce qui est spécifique au cadre religieux», dit-il.
La spécificité des abus perpétrés par les prêtres «est l'emprise spirituelle, l'autorité qui est conférée aux hommes d'Église.» Pour lui, à juste titre «la sacralité, le cléricalisme qui protègent les auteurs d'abus de tout». Les abus font que «beaucoup de personnes catholiques arrêtent de pratiquer ou ne savent plus quoi faire. Quand ils rentrent dans une église, ils sont confrontés à un autoritarisme total et ça devient inacceptable.» Pour lui, «l'enjeu est de toucher la conscience collective : tant que ces affaires sont incomprises ou inaccessibles, cela reste une affaire entre victimes et associations. Donc il faut une reconnaissance publique !»
Le salut ne viendra pas de l’Église trop empêtrée dans son cléricalisme, mais des fidèles et de l’appui des institutions judicaires et politiques aux victimes des prêtres pédophiles. Seule une pression constante envers l’Église aura des résultats probants.
Merci !