Le Saint Nicolas des origines : Nicolas de Myre, un évêque du IVème siècle (1ère partie)

Publié le 16 Décembre 2013

Le 6 décembre, jour de la fête de la Saint Nicolas, j'ai décidé de consacrer un article sur ce saint qui fut évêque de Myre, aujourd'hui la ville de Demre en Turquie, qui a inspiré celui qui est devenu le Père Noël, Santa Claus en anglais, vous voyez la similitude des prénoms non. Aujourd'hui, trop méconnu, il méritait que l'on revienne sur son parcours d'évêque dans une période charnière pour le développement du Christianisme entre la persécution de Dioclétien (303-311) et la victoire de Constantin à Andrinople (324), qui réunifia l'empire, et la réunion du Concile de Nicée (325).

Il faut d'abord savoir qu'on n'a guère de biographie contemporaine de Nicolas de Myre, à l'image de celle de Sulpice Sévère (363-410/429) sur le célèbre évêque de Tours, Martin (316/317-397), dont il aurait été un disciple. La référence la plus ancienne concernant cet évêque a été prononcé en 440 lors d'un discours du patriarche de Constantinople, Proclos, à un moment où le personnage était déjà devenu un saint. La première hagiographie de l'évêque, la vie, les oeuvres, et les miracles de notre Père Saint Nicolas, évêque de Myre en Lycie, a été écrite vers 700 par Michel l'archimandrite, dont on ne sait rien. Ce qui ne fait que rajouter à la difficulté pour une reconstitution de la vie de Nicolas de Myre. D'autant qu'il existe de nombreux parallèles dans d'autres sources, souvent non-chrétiennes, de l'Asie Mineure avec cette hagiographie. Au troisième siècle av. J. - C., l'auteur grec Philostrate a écrit une vie romancée du charismatique philosophe pythagoricien Apollonius, né à Tyane, qui n'est pas très loin de Myra. Ce sage, comme Nicolas de Myre dans les hagiographies qui lui sont consacrés, demeure chaste ( Vie d'Apollonios, § 1.13, cas unique dans le paganisme) et donne tous ses biens (idem), permet à un homme pauvre de donner une dot à ses filles ( § 6.39 ) et intervient dans un procès et sauve quelqu'un qui est condamné à mort ( § 5.24 ). Il a également le pouvoir d'ubiquité (§ 8.10 ).

La publication en 1987 de San Nicola nella Critica Storia (Saint Nicolas dans la critique historique) du dominicain italien Gerardo Cioffari et de Nikolaas van Myra en zijn tijd (Nicolas de Myre en son temps) du Néerlandais Aart Blom, en 1998, ont démontré que l'œuvre de Michel l'archimandrite s'est probablement inspiré d'une œuvre plus ancienne, tel que le montre certaines informations topographiques concernant le port de Myra, relevé par les archéologues, qui n'aurait pu être connu que d'un contemporain, et son épiscopat qui se rapproche de ce que nous font connaitre les sources chrétiennes contemporaines entre le milieu du IIIe siècle et le début du IVe siècle.

Ce à quoi je m'attacherai dans cette tentative biographique de retracer le parcours de l'évêque de Myre, tenant compte en plus du récit de Michel l'Archimandrite, des derniers apports de la recherche historique : les sources contemporaines chrétiennes et païennes, et les recherches archéologiques.

Nicolas de Myre est né en 265, pendant la période que l'on a appelé la « Petite Paix de l'Église » (260-303), à Patara, dans la province de Lycie enAsie Mineure (l'actuelleTurquie), et qui comptait alors environ 15 000 habitants. Les débuts de Nicolas sont difficiles à reconstituer car les récits de son enfance sont fortement inspirés par ceux de Nicolas de Sion, le futur évêque de Pinara, qui vécut plus de deux siècles après son homonyme de Myre, et qui mourut vers 564, et le seul récit qui n'en soit pas tiré concerne le fait qu'il n'allaitait pas deux jours par semaine, Mercredi et Vendredi, jours de jeûne dans les églises d'Orient, ce qui semble être un artifice rédactionnel consistant à montrer que dès sa naissance, Nicolas respecte les enseignements de l'Église chrétienne, et indique que quand ce récit a été écrit son culte était déjà développé. Il est probablement l'œuvre de Michel l'Archimandrite, son hagiographe.

De ce fait, on ne connait pas le nom de ses parents, ni leur milieu, mais vu ce que l'on peut présumer de son éducation, ils venaient probablement d'un milieu aisé. Dans le commerce ? Si on tient compte, bien sûr avec beaucoup de prudence de l''épisode où il organise des réserves pour la ville de Myre, c'est possible. Patara possédait, en effet, un port naturel, qui en faisait un des principaux de commerce maritime et de la Lycie, située à l'embouchure de la rivière Xanthos. De ce fait, c'était devenu un centre de stockage pour les cultures récoltées, en particulier les céréales, en Anatolie, en attente d'expédition vers Rome, ce à quoi s'ajoutait son temple d'Apollon construit par Opramas de Rodiapolis au IIe siècle - où le dieu rendait ses oracles durant les six mois d'hiver, désertant pendant l'été pour le sanctuaire de Délos - qui attirait beaucoup de pèlerins ainsi que les compétitions athlétiques qui s'y déroulait en l'honneur du dieu.

Ses parents étaient probablement chrétiens, ce que démontre le fait que contrairement, à Martin, évêque de Tours, on ne rapporte pas sa conversion. A-t-il subi le baptême après sa naissance, pratique qui semble confirmé au IIIe siècle par Tertullien (Du baptême 18, 4) et Origène (Homélie sur le Lévitique VIII, 3) ? C'est possible, mais à prendre avec prudence car la Didascalie des apôtres, écrite en Syrie en 230, n'évoque pas cette pratique en Orient. Le fait que c'est à Patara quePaul de Tarse se serait embarqué par laPhénicie probablement en 58, au retour de satroisième mission (53-58), explique en partie pourquoi une minorité chrétienne importante s'y serait ensuite développé si bien qu'à la fin du IIIe siècle Méthode d'Olympe y situait la scène de son dialogue Sur la Résurrection, est assez évocateur. D'autant qu'en Asie-Mineure, une proportion d'un tiers de chrétiens est envisageable et qu'en Lycie, on peut présumer qu'il existait déjà au moins trois évêchés, àPatara, Olympe et Myre.

Pour son éducation, il est possible de la reconstituer d'après les sources antiques, en tenant compte qu'une éducation chrétienne visible ne verra le jour qu'au réellement au Ve siècle. Ce qui invite à la prudence au sujet des informations de Michel l'Archimandrite qui veut le magnifier : « un jeune homme vertueux qui se mortifiait lui-même et évitait le contact avec les femmes ». « Le jeune garçon Nicolas, écrit plutôt l'historien Cioffari, apprit les diverses façons de vivre sur le forum de Patara, dans la rue, entre le théâtre et la porte principale de la ville, parmi la foule colorée de la cité portuaire, où se côtoyaient fripons et honnêtes gens, riches et pauvres, gens de toutes races et de toutes langues... qui aimaient s'assembler pour entendre et réentendre des conteurs venus parfois de très loin » dont certains colportaient l'histoire du Nazaréen Jésus, sur laquelle était fondée la religion de ses parents, parmi lesquels dont Méthode, futur évêque d'Olympe, puis de Tyr, qui a beaucoup fait pour le développement du Christianisme en Lycie, sans que l'on sache si Nicolas a été un de ses élèves. « Adolescent, il fut confié à l'école de Patara, où il apprit à écrire et à lire en étudiant les auteurs grecs, car, en Lycie, entrée dans l'orbite de la culture hellénique, ces auteurs étaient très appréciés, Platon, Solon, Euripide, et surtout Homère, qui avait réservé un rôle de choix aux Lyciens dans l'Illiade. Ainsi, Nicolas grandit en mûrissant en lui un goût de la réflexion issu de la lecture des philosophes, un sens des réalités qui lui provenait de sa vie dans une ville cosmopolite, un attrait pour les actions héroïques insufflé par les récits homériques, et une conception de la dignité de la personne humaine inculquée par le message évangélique adopté par ses parents ».

C'est, ce que rapporte, en effet, le récit de la dot des jeunes filles, dont le recoupement des sourcesbyzantine, sinaïque et éthiopienne, permet de relever un noyau de base historique. Un homme de noble origine, qui aurait été voisin du futur évêque, avait perdu sa fortune, et ne pouvant donc offrir une dot suffisante à ses filles - qui serait trois dans le récit, une référence trop évidente à la Trinité, qui pourrait placer sa rédaction entre la fin du IVe et le début du Ve siècle -, pense à les envoyer dans une maison de tolérance, pratique habituelle permettant de régler des problèmes financiers dans les villes portuaires, à Patara, en particulier, où la prostitution s'exerçait dans le temple d'Apollon. Nicolas décide de l'aider en jetant trois fois l'argent par la fenêtre de son voisin ce qui lui permit de bien marier ses filles. Á deux reprises - peut-être une dans le récit primitif - en toute discrétion, mais il fut reconnu à la dernière par le père qui avait veillé pour voir qui était son bienfaiteur. Celui-ci lui fit jurer de ne rien dire.

Ici, cet épisode symbolise un peu un des renversements qu'amènent le Christianisme à la civilisation romaine, en faisant du pauvre une personne importante. Ainsi, que le dit Cyprien de Carthage, dans L'activité pratique et les aumônes, l'aumône a Dieu pour objet puisque, en la personne des pauvres, c'est au Christ (Matthieu 25, 34-40) que s'adresse leur bienfaisance, d'où un encouragement de la part de celui-ci, comme dans la Didascalie des Apôtres(17, 74), à une large générosité de la part des fidèles, expression de l'amour divin (agapè), fondé sur l'amour du prochain, la principale des trois vertus chrétiennes, d'après Paul de Tarse (1 Corinthiens 13), et dont ils recevront récompense après la mort dans le Royaume, s'ils n'en ont pas fait étalage publiquement (Didascalie des apôtres 15, 69 d'après Matthieu 6, 1-4). Une des pratiques, d'après Tertullien, consistaient d'ailleurs à venir au secours " des filles qui n'ont ni fortune ni parents " (Apologie 39, 6). L'aumône était de ce fait considérée comme un devoir strict, mais qui, d'après Tertullien, était fraternel et spontané (Apologie 39, 5-6), au point que c'était à cela que l'on reconnaissait les chrétiens, ce qui était très différent de ses équivalents gréco-romains. Ceux-ci étaient fondés sur l'échange réciproque entre la cité et les notables, qui recevaient, pour prix de leur générosité, honneurs et services, tel que le montre très bien en Orient la pratique de l'évergétisme qui est crise depuis la fin du IIIe siècle. Une des raisons du développement du Christianisme ? N'est-ce pas ce qu'à fait Nicolas ?

On le retrouve ensuite à la métropole de Myra, au Sud-Ouest de l'Anatolie, sur le fleuveMyros, sans même en connaître les circonstances réelles, car encore une fois c'est la vie de Nicolas de Sion qui prend le relais. Mais les aspects de la ville peuvent l'expliquer. Myre devait en grande partie sa prospérité au commerce du murex et de lapourpre qui en était extraite, et aussi à son temple de la déesseArtémis Eleuthera (une forme distinctive de Cybèle, l'ancienne déesse-mère de l'Anatolie), qu'on disait être le plus magnifique et plus grand bâtiment de Lycie, et en l'honneur de laquelle on organisait un Panégyrique (un discours public à la louange d'un personnage illustre, d'une nation, ou d'une chose). Dans ces conditions, on peut comprendre qu'un homme de commerce comme Nicolas ait été attiré par cette métropole qui était aussi siège d'un diocèse. Paul y serait, en effet, passé dans le voyage final qui le mènera à Rome, et les progrès du christianisme sont attestés par le texte apocryphe des Actes de Paul et Thècle, écrit vers 160 à la gloire de Paul par un presbytre d'Asie mineure et la présence probable d'un évêque au IIIe siècle.

Si on suit le récit de Michel l'Archimandrite, à la mort de l'évêque de Myre, il est élu pour le remplacer dans cette charge, alors que c'est un laïc, ce qui rajoute de l'authenticité à l'épisode mais le récit de cette élection manque de réalisme par rapport à ce que l'on sait des élections épiscopales et presbytérales du milieu du IIIe et du début du IVe siècle. Certains épisodes du récit sont par contre vraisemblable quand on sait que ces élections ressemblaient peut-être à celle des magistrats municipaux. En effet, dans le récit, le clergé et le peuple sont assemblés, en prière, afin de lui trouver un digne successeur, ce que recoupe Cyprien de Carthage. D'après lui, l'évêque était élu par la communauté (fraternitas), qui semble être divisée entre les clercs et le reste de la communauté, le peuple (plebs). Selon, la Didascalie des apôtres, des critères étaient recherchés : un homme de 50 ans « éloigné des passions de la jeunesse, des volontés du démon, de la calomnie et du blasphème que de faux frères portent contre beaucoup », marié une seule fois, et dont la femme et les enfants ont une conduite irréprochable. Sinon, un jeune homme, si l'église est petite, qui montre, « dans la jeunesse, une mansuétude et une tranquille conduite digne de la vieillesse, » et « instruit et docteur ». À lire le récit, aucun candidat ne semble faire la différence, comme cela eut lieu en 374 pour l'élection d'Ambroise de Milan. Le lendemain, au matin, un clerc (un évêque dit le récit, mais peu probable car la présence d'évêques des régions voisines n'était pas alors coutumière) propose le nom de Nicolas, qui n'est pas un clerc, mais un membre du peuple, et a moins de 50 ans. Ce ne devait pas être une exception car on n'indique pas que les évêques doivent être choisi parmi les clercs, comme le montre l'élection de Martin de Tours en 371 et celle d'Ambroise de Milan, et Nicolas remplit parfaitement le second critère pour être évêque vu son éducation.

De plus, si on tient compte que la première partie de sa vie a été fortement influencé par celle deNicolas de Sion, le futur évêque de Pinara - qui lui était moine -, il était peut-être un bon père de famille et un administrateur avisé. En effet, contrairement aux pratiques actuelles, la Didascalie des Apôtres (IV), s'inspirant de l'épître de Tite (1, 6), recommande que l'évêque soit marié, bien sûr une fois, et sa femme et ses enfants, ainsi que « ses serviteurs », (nouveauté par rapport à l'épître pseudo-paulinienne) soient de conduite irréprochable, des qualités qui le montrent capables de diriger une communauté, et recevoir « l'imposition des mains pour prendre la charge de l'épiscopat ». Mais, si le choix se porte sur quelqu'un qui a des « serviteurs » et non plus seulement une maison c'est donc que ses futurs électeurs choisissaient le futur évêque en fonction de son origine sociale.

Dans ce cas, il se pourrait surtout que ce soit ce dernier critère qui ait emporté l'adhésion de ces derniers si on tient compte comme Claude Lepelley que dans les cités du Bas Empire : « La société hellénistico-romaine avait fortement privilégié les nobles et les riches, tout en les assujettissant à des obligations très astreignantes. C'est dans cette tradition qu'il faut situer l'attitude des fidèles chrétiens du Bas-Empire à l'égard de leurs clercs. Ce mimétisme est un indice de la vitalité de l'institution municipale prise comme modèle », tel que le montre la correspondance d'Augustin où la foule des fidèles peut faire pression sur de riches et pieux particuliers pour qu'ils deviennent prêtres, en espérant d'importantes donations : à Hippone, la foule fait, ainsi, pression surPinien et Mélanie en 410. Un phénomène qui avait probablement déjà cours au IIIe-IVe siècle.

Rien n'empêche de penser que Nicolas ayant passé les 25ans, ait été membre de l'ordre décurional(équivalent du conseil municipal, constituée de 100 membres de l'élite locale) de la cité de Myre. Il a été peut-être un des deux édiles, car ces derniers sont entre autres, en plus de la sécurité, chargés du ravitaillement, et une anecdote montre qu'il sait constitué des vivres, et rien ne s'oppose à penser qu'il ait été peut-être aussi un des deux duumvirs, « chargés de dire le droit », qui instruisent les procès mineurs, car trois récits montrent qu'il connait très bien le droit romain. En plus de sa fortune, il serait à même de gérer son diocèse. Le choix de la plebs s'avérait donc évident.

Quand Nicolas entre dans l'église, dès la petite aurore, l'évêque le prend par la main et le conduit devant l'assemblée, en le présentant comme l'élu de Dieu. L'approbation du candidat par les fidèles, comme dans le cadre municipal, était décisive car l'acclamation par le peuple constituait une confirmation du choix du clergé, qui avait pu être soit spontanée ou suggérée, ce qui est le cas dans l'élection de Nicolas. Ainsi, « Les bourgeois(les habitants) de la métropole de Myre s'étaient rassemblés et ils avaient compris, et ils perçurent ce qui était agréable à Dieu et qui leur était transmis par les évêques (ainsi que nous l'avons vu plus haut le choix a été suggéré mais plutôt par les prêtres du diocèse) ; ils l'accueillirent avec une grande joie et se portèrent témoins de cet événement (il a été acclamé par les habitants chrétiens de la ville) ».

À partir de son élection, on sait peu de choses sur son activité en tant qu'évêque. Mais, on peut la déduire de la Didascalie des Apôtres du moins pour ceux d'Orient.

Le Saint Nicolas des origines : Nicolas de Myre, un évêque du IVème siècle (1ère partie)
Le Saint Nicolas des origines : Nicolas de Myre, un évêque du IVème siècle (1ère partie)

Rédigé par paroissiens-progressistes

Publié dans #Culture biblique

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