"Excessif" voire "méprisant" pour les uns, "bienvenu" et "nécessaire" pour les autres : le coup de frein donné vendredi dernier par le pape François aux messes traditionnelles célébrées en latin est diversement accueilli parmi le clergé et les fidèles comme nous le montre LaLibre.be avec l’AFP ce vendredi 23 juillet 2021. "Je ne comprends pas cette attaque. Est-ce que le pape ne veut plus de nous en son Église ?", s'interroge Hortense, 42 ans, adepte parisienne des messes traditionnelles. "C'est injustifié", renchérit Jean-Pierre, 67 ans, qui fréquente la même paroisse.
En 2007, le pape allemand Benoît XVI avait publié un décret autorisant largement la célébration de l'ancienne messe en latin, à la satisfaction des catholiques traditionalistes. Revenant sur ce décret, le pape François a décidé que les évêques des diocèses auront désormais la compétence exclusive d'autoriser les messes des traditionalistes, en déterminant l'église et les jours de célébration. Le pape a estimé que les concessions accordées par son prédécesseur avaient été utilisées pour "renforcer les différences, construire des oppositions". "Ce que décrit le pape ne correspond pas du tout à notre réalité", soutient l'abbé Dufour, membre de la fraternité sacerdotale Saint-Pierre d'Epinal (Vosges), une communauté qui prononce ses messes exclusivement en latin et selon des missels antérieurs à Vatican II.
À la suite de ce Concile, en 1970, la liturgie en langue locale avait été adoptée par l'Eglise catholique comme forme ordinaire de célébration de la messe. La messe dite traditionnelle - en latin et selon le missel de 1962 - est toujours suivie dans "150 à 170 paroisses", selon la conférence des évêques de France. "On s'est battus pour conserver notre messe depuis les années 1970. Le décret de Benoit XVI avait été un soulagement", explique Marie-Thérèse Decotignie, fidèle de Saint-Eugène Sainte-Cécile, une église parisienne qui célèbre des messes selon les deux rites. "Ici, il n'y a pas de clivage entre les communautés", assure la paroissienne.
Le "motu proprio" (décret) du pape François fait suite à une enquête menée en 2020 auprès d'évêques du monde entier sur les effets des concessions de son prédécesseur. "Si le motu proprio de Benoît XVI a indéniablement favorisé l'apaisement, il n'aura pas pour autant fait grandir la communauté", conclut le rapport dont des extraits ont été transmis à l'AFP, et qui précise : "le souci d'unité de l’Église n'a pas été pleinement rempli". "Certains traditionalistes en ont profité pour s'isoler. Ce que leur demande le pape François aujourd'hui n'est pas de renoncer complètement au rite traditionnel mais de prononcer aussi des messes en français et de montrer leur fidélité aux évêques", explique Vincent Neydon, porte-parole de la conférence des évêques de France.
Ce nouveau motu proprio a été accueilli avec "soulagement" par certains curés, qui constatent eux aussi des divisions entre les communautés. "Le pape resserre la vis car l'espoir d'unité a échoué", affirme un prêtre diocésain, qui célèbre la messe selon les deux rites. Il déplore les "excès" d'un "noyau de fidèles". "C'est difficile de discuter avec eux. Le nier, c'est se montrer hypocrite", ajoute le curé. Un autre prêtre, qui souhaite lui aussi rester anonyme, pointe du doigt les réactions "épidermiques" que provoque chez certains traditionalistes toute référence à Vatican II.
Samedi, une manifestation réunissant une poignée de fidèles a été organisée devant la nonciature de Paris par Paix liturgique, un "réseau de laïcs catholiques attachés à la messe traditionnelle" pour lequel le décret du pape François "constitue une véritable déclaration de guerre et de haine à l'endroit du monde traditionnel", selon son site internet. "Liberté pour la messe traditionnelle", "non à la guerre", pouvait-on lire sur les pancartes brandies par les quelques manifestants, qui prévoient de revenir samedi. "Ce groupe est dans une posture contre et pas dans une posture avec. Nous ne sommes pas dans un combat mais dans un dialogue", répond Vincent Neydon.
Plusieurs évêques, comme ceux de Nanterre, Versailles et Bayonne, ont d'ores et déjà renouvelé leur confiance aux adeptes de la messe traditionnelle. À Épinal, l'abbé Dufour attend que l'évêque se prononce. "J'ai confiance en l’Église", affirme-t-il, et ajoute : "nous obéirons quoiqu'il en soit à l'autorité. Nous ne sommes pas des révolutionnaires".
En réalité, comme le montre Gino Hoel dans son article du mardi 20 juillet 2021 dans slate.fr (http://www.slate.fr/story/212874/pape-francois-declare-guerre-traditionalistes-encadrement-messe-concile-vatican-rituel) le pape argentin a donc pris la décision de mettre un coup d'arrêt à cette possibilité offerte par Benoît XVI, rendant ainsi la célébration de la messe selon le rite de Pie V pratiquement impossible. De fait, Traditionis Custodes affirme que la messe de Paul VI est «l'unique expression de la lex orandi [«loi de la prière»] du rite romain» et rend le pouvoir à l'évêque diocésain en matière liturgique. À lui de décider ou non s'il paraît opportun d'autoriser la célébration de la messe selon l'ancien missel dans son diocèse. Par ailleurs, s'il l'autorise, il doit vérifier que les fidèles adhèrent bien au Concile Vatican II et au magistère des papes. L'évêque diocésain doit aussi s'assurer que ces messes ne se déroulent pas dans des églises paroissiales et que les lectures soient faites dans la langue du peuple. Enfin, les prêtres nouvellement ordonnés ne pourront célébrer le rite de Pie V qu'avec l'autorisation du Vatican.
Il faut préciser que la forme extraordinaire du rite romain attirait une infime minorité de fidèles, souvent proches de l'extrême droite, au regard du milliard et demi de catholiques à travers le monde. Mais surtout, ce que le pape François déplore dans sa lettre, c'est l'instrumentalisation politique de cette messe par les fidèles et le clergé célébrant selon l'ancien rituel, instrumentalisation «caractérisée par un rejet croissant non seulement de la réforme liturgique, mais du Concile Vatican II, avec l'affirmation infondée et insoutenable qu'il a trahi la Tradition et ‘‘la vraie Église”». François dénonce un «usage déformé» de cette forme extraordinaire qui donne un coup de canif dans l'unité de l'Église, dont il est le garant. L'exemple le plus flagrant est le refus des prêtres traditionalistes de concélébrer avec d'autres prêtres.
Certes, les communautés traditionalistes et intégristes connaissent un certain succès auprès des séminaristes. C'est aussi pour cette raison que le pape François en est arrivé à prendre cette décision. Pour ce pape, il s'agit d'une tournure d'esprit: il ne comprend pas comment des jeunes gens n'ayant pas connu l'ancien rituel puissent avoir autant envie de le célébrer. Il y voit des signes de la «rigidité» et de l'«autoréférentialité» du clergé, qu'il dénonce régulièrement. En mai dernier, il a expliqué aux évêques italiens qu'«il y a un grand danger (…). Nous ne pouvons pas plaisanter avec les garçons qui viennent chez nous pour le séminaire.» Et de pointer du doigt l'«immaturité» de certains candidats et leur volonté affichée de célébrer, parfois exclusivement, l'ancienne messe. Dans la même logique, précédant la publication de Traditionis Custodes, il a mis un terme relatif aux célébrations de l'ancien rite au sein de la basilique Saint-Pierre de Rome et demandé à ce que soient favorisées les concélébrations. Comme au temps jadis, chaque prêtre en faisant la demande pouvait célébrer sa messe, avec ou sans fidèle. Désormais, l'utilisation de l'ancien missel est particulièrement encadrée au sein de la basilique vaticane.
Ces diverses décisions limitant l'usage de l'ancien missel s'inscrivent dans un plan du pape, dont on sait la lutte contre le cléricalisme vecteur d'abus. Le rite de Pie V, avec le prêtre au centre, est sans doute l'expression la plus aboutie du cléricalisme historique tel que le dénonce le pape François. Il est aussi l'expression d'une théologie qui n'est plus de mise depuis le Concile Vatican II et l'Église synodale voulue par le pape jésuite. Le pape François sait également qu'il compte maints adversaires parmi les traditionalistes, notamment au sein de la Curie, qu'il peine à réformer. Il fait malgré tout le pari que cette tournure d'esprit finira par disparaître, et c'est pourquoi il a pris cette décision: afin d'en accélérer le processus. Mais le pape vient aussi de déclarer la guerre à ces fidèles, déjà l'arme au poing, si l'on en croit les sites traditionalistes et intégristes, déchaînés depuis la publication de ce motu proprio. Preuve, s'il en fallait, que les inquiétudes du pape François étaient fondées.
Et a priori pas concernée par le décret puisque toujours séparée de Rome, la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX) réagit à son tour alors que la Fraternité Saint-Pierre réaffirme sa loyauté au pontife romain et en même temps son attachement à ‘la messe de toujours’ (qui ne l’est pas vraiment, puisque c’est celle d’un concile du XVIe siècle)… Pour rejoindre largement l’analyse du pape François qui refuse de voir se former une Eglise parallèle. «Ces mesures assez claires et nettes ne touchent pas directement la Fraternité Saint-Pie X, mais elles doivent être pour nous l’occasion d’une réflexion profonde.» «Deux messes édifient deux cités: la messe de toujours a édifié la cité chrétienne, la nouvelle messe cherche à édifier la cité humaniste et laïque.», souligne le supérieur général de la FSSPX, l’abbé Pagliarani tout en ayant vision trop imagée du rite tridentin puisque pour lui «la messe de toujours, étendard d’une Église qui défie le monde et qui est certaine de la victoire, car sa bataille n’est autre que la continuation de celle que Notre-Seigneur a menée pour détruire le péché et le royaume de Satan.» Et il conclut par un appel direct au ralliement des déçus. «La Fraternité Saint-Pie X a le devoir d’aider toutes ces âmes qui se trouvent actuellement dans la consternation et le désarroi» (https://www.cath.ch/newsf/rite-tridentin-deux-messes-edifient-deux-cites-dit-la-fsspx/).
L’unité voulue par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI n’a été qu’un beau rêve, car les tradis n’ont pas joué le jeu dès le départ et n’ont jamais voulu adhérer au Concile Vatican II, ce qui amena des divisions au lieu de la paix. Le pape François a été moins dupe que les évêques, archevêques et cardinaux nommés durant les précédents pontificats.
Merci !