Publié le 31 Décembre 2023
Une nouvelle année va commencer. Le Conseil du Synode des évêques dans une déclaration publiée le 12 décembre 2023 demandera au pape François d'autoriser des études sur la nécessité de mettre à jour le droit, de réviser les règles de formation sacerdotale, d'approfondir une réflexion théologique sur le diaconat - y compris la possibilité d'ordonner les femmes diacres - et d'envisager de réviser un document qui fournisse des normes pour la relation d'un évêque avec les membres des ordres religieux dans son diocèse. Les groupes d'experts de tous les continents ainsi que les dicastères concernés de la Curie romaine et coordonnés par le Secrétariat général du Synode seront invités à travailler de manière synodale sur les sujets indiqués par le Saint-Père. Un rapport sur l'état d'avancement de ces travaux sera présenté à la deuxième session en octobre 2024. Les diocèses et les conférences des évêques du monde entier sont invités à s'engager dans d'autres consultations, en cherchant spécifiquement comment ils pourraient ou devraient instituer certaines des recommandations de l'assemblée du synode pour réunir un plus grand nombre de personnes dans la mission évangélisatrice de l'Église. Bien que les diocèses et les conférences des évêques nationaux ou régionaux ne soient pas demandés pour répéter les séances d'écoute qu'ils ont organisées d'octobre 2021 au printemps 2023, on leur demande de rassembler des personnes pour réfléchir sur le rapport de synthèse. En particulier, le conseil des synodes leur a demandé de discuter, "Comment pouvons-nous être une église synodale en mission?" Reconnaissant les limites de temps et de ressources, le Conseil a déclaré que la consultation qu'il espérait pour chaque diocèse varierait. Dans cette étape, en plus des organes participatifs au niveau diocésain et de l'équipe synodale déjà établie, il sera important d'impliquer des personnes et des groupes qui expriment une variété d'expériences, de compétences, de charismes, de ministères au sein du peuple de Dieu et dont le point de vue est particulièrement utile pour se concentrer sur le "comment", a-t-il déclaré. Le conseil a suggéré en particulier des curés de la paroisse, des catéchistes, des dirigeants de petites communautés chrétiennes, des religieux et des religieuses, des dirigeants d'écoles catholiques, d'universités, d'hôpitaux et de théologiens et d'avocats canoniques. Les diocèses sont invités à envoyer leurs réflexions à leurs conférences des évêques nationaux ou au synode catholique oriental des évêques, qui sont invités à soumettre un rapport de huit pages à la salle des synodes à Rome avant le 15 mai (https://www.ncronline.org/vatican/vatican-news/council-ask-pope-authorize-studies-key-synod-topics).
L’Église synode voulue par le pape François doit avant tout réussir à se libérer du cléricalisme. Comme le signale Loïc de Kerimel dans En finir avec le cléricalisme en 2020 l’Église ne produit pas privilèges et abus comme n’importe quelle institution de pouvoir le fait; elle est fondée sur l’affirmation d’une différence essentielle entre une caste sacerdotale, sacrée, et le peuple des fidèles. Alors que Jésus dénonce le monopole des prêtres et de la hiérarchie lévitique du Temple dans l’accès au salut, l’Église chrétienne naissante se dote d’une organisation similaire. Alors même que le judaïsme naissant se convertit à une spiritualité sans prêtres ni sacrifices, l’Église donne au repas du Seigneur, l’eucharistie, une tournure sacrificielle. Or, c’est précisément autour du monopole sacerdotal, et masculin, de cette célébration que le cléricalisme a fait système et s’est installé dans l’histoire. Tenu à l’écart des réformes, il a généré les abus de pouvoir qui gangrènent l’Église aujourd’hui. Face à la crise que traverse une Église catholique affaiblie par la sécularisation, les scandales à répétition et nombre de bouleversements sociaux ou culturels, il n'est plus question de revenir à la chrétienté d'autrefois comme le souhaite les tenants du cléricalisme que sont les cardinaux Walter Brandmüller, Raymond Leo Burke, Juan Sandoval Íñiguez, Robert Sarah et Joseph Zen Ze-kiun, auquel on peut ajouter Mgr Carlo Maria Viganò et Mgr Georg Gänswein.
Un problème majeur pour l’évolution au sein de l’Église vient du fait que dans une Europe sécularisée où les communautés chrétiennes sont marquées par une surreprésentation, en leur sein, des classes bourgeoises de tendance plutôt conservatrices dont le vote est plutôt marqué à droite comme le montre le premier tour de l’élection présidentielle de 2022, où l’électorat catholique répartit ses voix entre Emmanuel Macron (29%), Marine Le Pen (27%), Éric Zemmour (10%) et Valérie Pécresse (7%). Cette vision fermée et centrée sur le cléricalisme est visible à travers cette majorité de ces jeunes issue de catégories socio-professionnelles supérieures, dites "CSP +", venues aux JMJ de Lisbonne très pratiquants et en majorité conservateurs qui disent plutôt apprécier la messe en latin, se disent de droite et le vote à l’extrême droite ne semble pas les gêner, l’ouverture à plus de femmes dans l’Église n’a pas d’écho chez eux et une trop grande confiance aux évêque pour les réformes de l’Église et ne sont pas trop avec les orientations que donne l'actuel souverain pontife à l’Église (https://www.rcf.fr/articles/actualite/les-jmj-attirent-en-france-des-jeunes-catholiques-tres-pratiquants-et-plutot). Pour une réforme dans l’Église, il faut être conscient que cela va être difficile avec une surreprésentation des classes supérieures de tendance conservatrices.
L’Église est en crise : recul de la pratique, des vocations, de l'influence publique et culturelle. Pour sursoir à cela, l’Église doit accueillir les divorcés remariés, reconnaître les personnes homosexuelles, envisager – avant d'y surseoir – l'ordination d'hommes mariés, donner des ministères ordonnés aux femmes, réprimer les traditionalistes en les privant de l'ancienne liturgie, ou encore fraterniser avec l'islam. Elle doit aussi ouvrir la gouvernance de la communauté catholique, apanage des clercs, à tous les fidèles : à eux, désormais, de conduire l'Église, au pape de les servir. Pour y réussir, elle doit élever les pauvres, les exclus, les migrants; humilier l'argent et les puissants; museler la curie romaine en attaquant ses vieilles habitudes de pouvoir. L’Église doit donc tendre la main à tous, pleurer avec les éprouvés, chérir la sincérité, et vivre sa foi sans concession en communion intime avec le Christ. C’est cette vraie réforme tant spirituelle qu’organisationnelle qui mettra fin à la fin de la crise que nous connaissons.
Cependant, pour y arriver il faut en finir avec le dispositif de pouvoir strictement vertical, hiérarchique et mâle qui, désormais, ne peut plus fonctionner. Pour cela, il faut utiliser un modèle comme celui de Rutilio Grande à Aguilares, au Salvador, entre 1972 et 1977, où un élément essentiel de son projet pastoral était la participation active des fidèles. Le secret et la source du nouveau départ résidait dans les communautés de base qui lisaient la Bible ensemble. Il importait de mettre la parole de Dieu en lien avec la vie des gens. Rutilio Grande, avec son équipe pastorale, forma des hommes et des femmes pour qu’ils deviennent des Delegados de la palabra -des messagers de la Parole-, qui allèrent à leur tour fonder de nouveaux groupes. Aguilares se mit en mouvement. Lorsque les paysans examinaient leur situation dans cette optique, à la lumière de la Parole de Dieu, ils découvraient que la pauvreté et l’oppression sont des thèmes récurrents dans la Bible et que Dieu, par la parole des prophètes et la prédication de Jésus, prend parti pour les victimes. Ainsi, la foi prenait une dimension sociale et politique efficace. Grande encouragea les paysans à s’organiser en syndicats, à revendiquer leur droit à une vie digne et à des salaires équitables. D’autres prêtres suivirent cet exemple. Rutilio Grande avait compris que les anciennes structures hiérarchiques de l’Église ont fait leur temps, et dans son projet d’une pastorale de la terre à Aguilares, Rutilio Grande avait déjà anticipé de nombreux éléments qui figurent actuellement dans les réformes souhaitées pour l’Église : le renouveau missionnaire, la participation des laïcs, le respect des traditions autochtones, la contribution prophétique de l’Église aux changements politiques et structurels (https://www.choisir.ch/religion/jesuites/item/4321-le-miracle-de-rutilio-grande).
En 1977, Rutilio Grande dans une prédication enflammée la finissait par une évocation du retour de Jésus à El Salvador : «J’ai bien peur, chers frères et amis, que la Bible et l’Évangile doivent faire halte à nos frontières parce que tout y est subversif… J’ai bien peur, frères et sœurs, que si Jésus de Nazareth revenait et, comme en ce temps-là, se rendait de Galilée en Judée, c’est-à-dire, et je puis dire, de Chalatenango à San Salvador, j’ai peur qu’avec sa prédication et son action, il n’arrive même pas jusqu’à Apopa. Je crois qu’on lui barrerait la route à la hauteur de Guazapa. Là, on l’arrêterait et on le jetterait en prison. On le traînerait devant les tribunaux pour délit contre la constitution, comme émeutier. L’homme-Dieu, prototype de l’humain, serait accusé comme révolutionnaire, juif étranger, intrigant, porteur d’idées exotiques contre la démocratie, c’est-à-dire contre la minorité. Ils l’accuseraient de penser en ennemi de Dieu, parce qu’ils sont des bandes de Caïns. Sans aucun doute, mes frères, ils le crucifieraient à nouveau.» (https://www.choisir.ch/religion/jesuites/item/4321-le-miracle-de-rutilio-grande).
Un propos tellement actuel quand on voit notre situation politique avec la montée de l’extrême droite. Geert Wilders est le nouvel homme fort des Pays-Bas. Le Parti de la liberté, islamophobe et anti-européen, a remporté les élections législatives néerlandaises, le mercredi 22 novembre. Avec Giorgia Meloni en Italie, Viktor Orban en Hongrie et Robert Fico en Slovaquie, désormais au pouvoir, l'extrême droite gagne du terrain en Europe. En France, où Marine Le Pen a été finaliste des deux dernières élections présidentielles, une récente enquête Ipsos place le Rassemblement national en tête pour les élections européennes, avec 29%. En Finlande, Lettonie ou encore Suède, les populistes sont membres d'une coalition gouvernementale ou la soutiennent. En Allemagne, dans les derniers sondages, le parti d'extrême droite AFD est le deuxième parti avec 21% d'intentions de vote. Heureusement, un revirement progressiste en Europe a toutefois été observé en Pologne. Après huit ans au pouvoir, la droite ultraconservatrice a été battue par l'opposition centriste. Mais le parti populiste reste très puissant en Pologne. Les élections européennes en juin 2024 permettront d'évaluer l'ampleur réelle de la montée de l'extrême droite en Europe. Cela s’explique par le fait que la droite européenne mène une stratégie qui lui a fait perdre du terrain celui d’adopter les thèmes de l’extrême droite, permettant de renforcer cette dernière (https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/europe-le-camp-populiste-d-extreme-droite-gagne-du-terrain-sur-le-vieux-continent_6202335.html).
En ces périodes de crise, l’Église doit avoir le courage de dire comme Mgr Marty aux prêtres en mai 1968, que les chrétiens aussi “contestent une société qui néglige les profondes aspirations des hommes”, et que «Dieu n’est pas conservateur. Le changement, la mutation ne sont pas a priori contraires à la volonté de Dieu. Dieu est pour la justice. Celui qui a faim et soif de justice ne peut accepter de voir durer les situations actuelles qui font violence aux faibles, écrasent la santé, la dignité, la liberté de millions d’hommes et de femmes, dans notre pays et plus encore dans le tiers-monde. Faute d’avoir été réalisées à temps, certaines réformes s’imposent brutalement. Elles ne sont pas pour cela nécessairement condamnables.» (https://doc-catho.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/Eglise-en-France/Mgr-Marty-pretres-mai-1968-chretiens-aussi-contestent-societe-neglige-profondes-aspirations-hommes-2018-12-03-1200987108).
Nous paroissiens progressistes en cette nouvelle année 2024 à venir nous n’avons pas peur de dire que l’Église doit faire plus de place aux laïcs et donner un rôle plus important aux femmes, écouter vraiment les jeunes, se débarrasser du cléricalisme, pouvoir avancer sans questions taboues, en mettant tout sur la table, être moins rigide, à l’écoute, en dialogue, au service des fidèles, moderne, engagée, ouverte à la diversité des points de vue. Nous demandons donc, une autre manière de faire Église. Une Église fraternelle, modeste, et proche.