Joseph, ce grand inconnu ! (1ère partie)

Publié le 3 Janvier 2014

Je vais consacrer un article au père de Jésus, Joseph, resté trop en retrait par rapport à son épouse, Marie. Une grande injustice, non ? Et d'abord, une bonne année 2014 à tous ceux et à toutes celles qui liront ces quelques lignes !

Je vais consacrer un article au père de Jésus, Joseph, resté trop en retrait par rapport à son épouse, Marie. Une grande injustice, non ? Et d'abord, une bonne année 2014 à tous ceux et à toutes celles qui liront ces quelques lignes !

Il faut dire que déjà vu le peu d'informations sur Marie, c'est encore pire pour Joseph. Cependant, tout exégète digne de ce nom sait que de peu en fonction du contexte on peut essayer de retracer la vie d'une personne, grâce aux sources en nos possessions, pour nous les évangiles, les Antiquités Judaïques et la Guerre des Juifs de Flavius Josèphe, le Talmud et les recherches archéologiques en Galilée et en Judée. Donc on ne part pas de rien.

Si Joseph avait 15 ou 18 ans en 7 avant Jésus Christ, lors de ses fiançailles, tel que le veut le droit juif de l'époque, on peut estimer qu'il est né en 22 ou 25 avant Jésus-Christ, sous le règne d'Hérode Ier le Grand (37-4). D'après Matthieu 13, 55, Luc 2, 4 et Jean 1, 45 , il est assurément originaire de Nazareth, dont on sait fort peu de choses, car la source la plus ancienne sur ce dernier sont les quatre évangiles, sinon que c'était probablement une modeste bourgade - ce qui a été confirmé par les recherches archéologiques sur le site présumé du village dont estime la population de 100-200 à 400 habitants -, ce que souligne dans Jean 1, 45 par un proverbe probablement local : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? »

D'après John P. Meier (Un certain juif, Jésus. Les données de l'histoire : vol. 1, Les sources, les origines, les dates, éditions du Cerf, Paris, 2004), son nom, Yosseph ou Yosé en dialecte galiléen, qui est celui de l’un des 12 fils de Jacob, reflète une volonté apparu dans la Judée au IIe siècle avant J. - C., à l’époque des frères Maccabées et de la montée du mouvement nationaliste qui s’opposait à la tentative d’acculturation des Grecs, de refléter l’époque patriarcale et l’Exode. Cette renaissance juive était surtout forte dans les petites villes et dans les milieux ruraux, comme en Galilée, et s'était semble-t-il affermi depuis qu'Hérode le Grand régnait sur le pays depuis 37, ayant fait de la province un tremplin pour son ascension lorsqu'il en était stratège en 47 av. J. - C. en y éliminant les partisans des Hasmonéens, qui avait rejudaïsé la Galilée à partir de 104 av. J. - C, dont Ezéchias, le père de Judas le Galiléen. La symbolique du nom prend aussi plus d'évidence quand on sait qu'au temps de Jésus, il était donné au moment de la circoncision qui avait lieu 8 jours après la naissance. Celle-ci avait pour but, d'après la formule utilisé par le père à cette occasion, d'« introduire notre enfant dans l'alliance d'Abraham notre père » (Schabbath, 137, 2). Donc parce que Dieu a changé les noms d'Abraham et de Sarah lorsqu'il a institué la circoncision, les parents faisaient de même. Ce nom était choisi d'ordinaire parmi ceux qui étaient déjà portés par un des parents. Cela avait été probablement le cas de Joseph. Pourtant, son seul frère dont nous possédons le nom s'appelait Clopas (Jean 19, 25 ; Hégésippe, Histoire ecclésiastique, in Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique 3, 11), peut-être le même que Cléopas (Luc 24, 18), qui est un nom d'origine grecque et le diminutif de Kléopâtros. La famille de Joseph appartenait-elle à ces groupes bilingues, qu'évoque José Antonio Pagola (Jésus. Approche historique, collection Lire la Bible, éditions du Cerf, Paris, 2012) - en se référant à des inscriptions en araméen (ou hébreu) et grec, trouvées en Basse Galilée et sur les rives sur le lac de Génésareth -, qui parlaient araméen et employaient un grec rudimentaire ? Possible, mais on ne peut aller plus loin.

Sinon, on ne connaît pas le nom de ses deux parents. Toutefois, on peut estimer que le nom de son père était Jacob, si l'on tient compte que ce nom était celui de l'un de ses fils (Marc 6, 3 ; Matthieu 13, 55) - pratique courante - et qu'on lui donne ce nom dans la généalogie de Matthieu (1, 16), peut-être ici symbolique, le patriarche Jacob étant le père du patriarche Joseph. On ne sait pas non plus l'étendue de sa famille, qui selon les mœurs de l'époque, est probablement nombreuse, sans qu'on puisse estimé le nombre d'enfants, ou de garçons et de filles, car nous n'en connaissons que deux, Joseph et Clopas. Il se peut aussi que cette famille, comme d'autres familles juives, ait été de la descendance de David, comme l'atteste la plus ancienne source chrétienne, l'Épître de Paul aux Romains (1, 3), écrite entre 55 et 57. Un cercueil datant de l'époque de Jésus découvert à Jérusalem qui porte l'indication : " Appartient à la maison de David ", pourrait le confirmer. En effet, d'après Daniel Marguerat : « (...) toutes les familles faisaient ces généalogies. Pas seulement celle de Jésus » (interviewé par Jocelyn Rochat dans l'article Zut, on a encore oublié Joseph ! dans Allez Savoir !) et donc de son père, Joseph, qui sont inconnues, car comme l'on très bien remarqué les exégètes actuels, celles de Matthieu et de Luc donnent plutôt l'impression du fait de leurs incohérences et de leur contenu théologique qu'elles ont été élaborées ad hoc dans le but de prouver la descendance davidique. De plus, « Il est (...) important, souligne David Flusser, de rappeler que, s'il existait au Ier siècle des personnes qui pouvaient faire remonter leur ascendance jusqu'à David, nous n'avons aucune certitude quant à l'appartenance de Jésus lui-même ( et de Joseph) à la lignée davidique » (Jésus, Seuil, 1970 ; Éclat, 2005).

Si Joseph était tekton (Matthieu 13, 55 et la version vetus latinus de Marc 6, 3), on estime que son père devait l'être également. Ce mot mal rendu par " charpentier " signifie plutôt en grec " bâtisseur ", " constructeur ", si bien que l'auteur du Protévangile de Jacques, écrit probablement entre 150 et 170, fait ainsi dire à Joseph qu’il « construit des bâtiments ». D'après Pierre Antoine Bernheim, " Ces activités pouvaient nécessiter une formation assez longue et des connaissances techniques approfondies. Le terme grec utilisé, tekton, comporte une connotation d'habileté et de sagesse. C'est pourquoi les meilleurs artisans étaient très recherchés (...) " (Famille et éducation de Jésus dans La Bible est sa culture. Jésus et le Nouveau Testament, dirigé pat Michel Quesnel et Philippe Gruson, Desclée de Brouwer, Paris, 2000), notamment à cette période de construction qu'est le règne d'Hérode (37-4 av. J. - C.). Donc, tout sauf des journaliers, comme le pense James Tabor.

Cela permet de penser que l'instruction qu'a reçu Joseph n'était guère différente de celle de Jésus. D'après José Antonio Pagola (id.), les garçons restait sous la responsabilité de leur " mère et des membres féminins de son groupe familial " jusqu'à 7-8 ans, puis " il était incorporé presque sans transition dans le monde des adultes ", l'éducation étant assez sommaire, leur père se concentrant sur l'enseignement de leur futur métier, souvent le sien, ce qui est très important pour la société juive du Ier siècle, car, comme le dit Rabbi Yehouda HaNasi (135-env. 225 ap. J. - C.), « Celui qui n'enseigne pas un métier à son fils c'est comme s'il lui enseignait le brigandage. » (Talmud de Babylone, Kidduschin, 29 a, 30 b.) En même temps, chez eux ou dans le local de la synagogue, ils devaient, souligne Bernheim (id.), sans doute apprendre les grands événements de l'histoire d'Israël et ce qu'il fallait pour vivre comme un Juif. Les plus doués et les plus motivés pouvaient chercher quelqu'un leur apprenant à lire voire écrire. Ce fut peut-être le cas de Joseph qui parlait peut-être trois langues : l'araméen, sa langue maternelle, l'hébreu, qu'il a appris à la synagogue, et le grec, de façon pratique et rudimentaire dans le cadre de son apprentissage de tekton « car, tel que le rappelle Flavius Josèphe, notre nation n'encourage pas ceux qui apprennent le langage de nombreuses nations » (Antiquités Judaïques 20, 21, 2). On peut donc comprendre en Jean 12, 20-22, pourquoi André et Philippe, s'il pratiquait un grec moins basique, ait pu servir d'interprète à Jésus auprès de pèlerins grecs voulant le rencontrer. À partir de 12-13 ans, devenu adolescent (la Bar mitsvah n'existe pas encore), l'apprentissage terminé, Joseph a dû être associé à l'entreprise familiale - un grand nombre d'enfants était aussi utile car c'était une main d'œuvre nécessaire au développement d'une entreprise surtout familiale -, et il pouvait aussi participer au culte synagogal et accompagner ses parents aux trois pèlerinages au Temple de Jérusalem, mais peut-être pas peaufiner son éducation religieuse car les écoles des Sages étaient chères et ne se trouvaient qu'à Jérusalem. Mais il est possible qu'il ait pu le faire d'une autre façon ce que nous évoquerons dans la deuxième partie de l'article.

Puis les parents cherchaient une épouse pour leur fils. C'était d'une grande importance pour les Juifs du Ier siècle, car « Celui qui n'a pas de femme n'est pas un homme complet » à tel point que l'on considérait que « Le Ciel - Dieu - condamne sept choses, et la première concerne l'homme qui n'a pas de femme ». L'homme se doit donc de vivre avec une femme féconde et entouré d'enfants pour respecter le premier commandement divin donné à l'humanité : « Soyez féconds et prolifiques » (Genèse 1, 28) et surtout d'assurer une descendance à sa famille et au peuple juif, ce qui était particulièrement important pour des familles juives habitants dans des hameaux isolés comme Nazareth. D'après Charles Perrot, les filles « étaient mariées entre douze et quinze ans et les garçons n'étaient guère plus vieux » (Les récits de l'enfance de Jésus, dans Cahiers Évangile n°18, Cerf, 1976) - peut-être avait-il quinze et dix-huit ans. Cette moyenne d'âge au mariage était dû au fait que les hommes et les femmes avaient une espérance de vie moins importante qu'aujourd'hui, expliquant que l'entrée dans l'âge adulte avait lieu plus tôt. Le mariage se déroule alors en deux temps dans le droit juif. Le premier est celui des fiançailles, qui consiste dans les faits à un contrat entre les deux familles, donc à un mariage arrangé, car il concernait des biens et des terres, du fait que les familles étaient surtout des unités de production, ce qui explique que celui-ci était endogamique (même milieu, ici celui des artisans, et même tribu, le mariage est alors clanique, sans que l'on puisse dire avec certitude laquelle comme je l'ai évoqué plus haut). Ce semble être le cas pour la famille choisi par le père de Joseph, car deux filles vont épouser Joseph et son frère, Clopas, et qui s'appelle toutes deux Myriam, celle qu'épouse le premier est probablement l'aînée des deux sœurs qui est alors nubile, et est peut-être né entre 22 et 19 avant Jésus-Christ. N'y a-t-il pas aussi une stratégie familiale qui passerait par l'alliance matrimoniale de deux familles rivales sur le marché du travail et aussi de créer un réseau concurrentiel aux élites dirigeantes du village ? Possible, mais on ne peut le prouver, même si d'après Jean 1, 45, Joseph semblait connu en dehors de son village. Connaissait-il sa promise ? Nazareth étant un modeste village, rien ne s'y oppose, surtout si on se rappelle que les galiléennes se déplaçaient plus librement que les Judéennes, devant aider aux champs lors des moissons, allant aux puits, et ne portant pas le voile, même si on ne peut le dire avec certitude.

À partir des fiançailles, Myriam était déjà considérée comme son épouse, et attendait sous le toit de son père, la cérémonie de mariage - appelé « réception » ou « introduction de l'épouse » (dans la maison de l'époux) - n'ayant lieu qu'un an plus tard afin de permettre aux époux de préparer au mieux leurs conditions de vie de couple et notamment pour le futur époux, d'autant plus s'il est un tekton, de construire la maison qui accueillera son futur couple, qui consistait souvent en une annexe à la maison paternelle.

Images tirées du manga Le Messie.
Images tirées du manga Le Messie.
Images tirées du manga Le Messie.

Images tirées du manga Le Messie.

Rédigé par paroissiens-progressistes

Publié dans #Culture biblique

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