L’Église de Franco
Publié le 20 Novembre 2016
Comme le montre periodistadigital.com ce dimanche seront commémorés les 41 ans de la mort de Franco et les 80 ans de celle de Primo de Rivera. Pour commémorer cet anniversaire, la Fundación Nacional Francisco Franco a organisé divers actes d'hommage au fascisme dans une douzaine de villes espagnoles, dont Madrid, Séville, Grenade et Valladolid. Une douzaine d'églises espagnoles célèbreront alors des messes pour "Francisco Franco, Primo de Rivera et de ceux tombés pour Dieu et pour l'Espagne". Même si l’archevêché de Madrid s’y oppose, elle n’empêche pas ces messes en l’honneur de ces dictateurs. L’Église espagnole n’apprendra donc jamais de ses erreurs. C’est pour cela que nous allons voir aujourd’hui le rôle décisif joué par l'Église catholique durant la guerre d’Espagne comme soutien actif de Franco à travers deux ouvrages des éditions Critica, La Iglesia de Franco (2001) de Julian Casanova et Por la religion y por la patria : La Iglesia y el golpe militar de 1936 (2014) de Francisco Espinosa Maestre et José María García Márquez.
L'Église catholique espagnole qui avait vécu en 1931 l'arrivée de la République comme une véritable catastrophe, s'est empressée d'appuyer le soulèvement militaire de juillet 1936. Elle n’hésita pas. Dès la naissance de la République, l'Église s'y est opposé. «Que la colère de Dieu s'abatte sur l'Espagne si la République persévère», fulmine alors en 1931 le cardinal Segura. Deux lignes s’affrontent durant la République, celle fondamentaliste représentée par Isidro Gomá y Tomás et celle progressiste autour de Francisco de Asís Vidal y Barraquer, mais c’est la première qui a fini par être prédominante plutôt que la première. Cette ligne fondamentaliste était manifestement incompatible avec la République, qui voulait la formation d'un État laïc où l'Église n'aurait plus les privilèges dont elle avait joui jusque-là, en particulier dans les questions d'éducation, ainsi que dans le contrôle de nombreux aspects liés au droit civil et familial. Pour l'Église, l'existence même de la République et de son engagement ferme pour un État laïc était une agression insupportable.
L'Église parle toujours de la «persécution religieuse» comme étant voulue par la République et met en avant ses «martyrs» après le coup d'État. Contrairement à ce qu’à fait croire l’Église sous Franco, il n'y a pas eu en Espagne de plan concerté et organisé de persécution antichrétienne. L'essentiel des assassinats de prêtres et religieux a eu lieu en août, septembre, octobre 1936, à un moment où l'appareil d'État s'effondrait et faisait place à des règlements de comptes de villages et de quartiers, où on tuait autant d'instituteurs républicains, humanistes et laïcs, que de curés. Donc, on ne pouvait pas rendre la République responsable de ces règlements de compte.
Une fois dans la guerre civile avec les militaires, le rôle de l'Église dans la répression, fut également crucial, même si elle ne soutint la Junte militaire officiellement que le 1er juillet 1937 dans sa Lettre collective des évêques espagnols en l’absence de Mateo Mugica et Francesc Vidal y Barraquer. Elle coopéra de façon active dans celle-ci. Elle s’est joint à la police, la Garde civile ou à la Phalange pour dénoncer ceux qui n’étaient pas conforme à la vision fondamentaliste de l’Église. Des religieux furent abattus pour ne pas avoir été conformes au canon national catholique avec ceux qui s’étaient montrés distants, critiques ou s’étaient opposés ouvertement aux pratiques du coup d'État militaire fasciste. L’Église espagnole expulsa les dissidents, les arrêta et justifia même leur assassinat. À quelques exceptions près, le cardinal Vidal y Barraquer qui s’opposa à Franco en 1937 et s’exila en Italie pour sauver sa vie.
Les responsables d’un tel mariage contre nature furent l’évêque de Salamanque, Enrique Plá y Deniel, ou le cardinal Isidro Gomá y Tomás. Mais le fait que beaucoup de religieux participaient à la répression n’est pas connu. Et d'autres qui ont péché par omission et préféré à regarder de l'autre côté, pour être plus à l'aise. Dans les villages, des épisodes répétés de répression eurent lieu. Avec plus d'emphase parfois. Localement, il y avait beaucoup de prêtres qui menèrent une politique active de répression sans oublier ceux qui ont fait des déclarations vindicatives, car beaucoup d'entre eux ont été ouvertement identifiés avec les droitistes locaux les plus récalcitrants. Actuellement on est en attente d’une enquête intensive dans de nombreux endroits à ce sujet.
La croisade soit disant politique permettait aux cérémonies religieuses de se répandre dans l'Espagne contrôlé les soldats qui étaient révoltés contre la République, avec une symbolique spéciale avec d'innombrables actes de «remplacement» et de «retour» des crucifix dans les écoles au début de l'année scolaire 1936 et 1937. L'abolition de la loi républicaine et son remplacement par l'Espagne traditionnelle se serrèrent la main avec les enfants en tant que témoins. Le Vatican plus prudent n’enverra un nonce qu’en juin 1938. Après la victoire des troupes de Franco en avril 1939, les rites et les manifestations liturgiques ont rempli les rues des villes. L'Église et la religion catholique inondèrent les écoles, les douanes, l'administration et les lieux de pouvoir.
Pourtant comme le montre Gabriel Jackson dans Juan Negrín : Physiologist, Socialist and Spanish Republican War Leader en 2010 l’Église ne s’est pas empressée d’aider le dernier président de la Seconde République espagnole, Juan Negrín, qui a en vain cherché à se réconcilier avec elle depuis qu'il a pris ses fonctions en 1937, avec diverses initiatives inhabituelles et presque inconnues faites entre 1937 et 1938 comme la normalisation du culte, la libération des prêtres détenus, l'ouverture d'églises, la liberté de l'enseignement religieux et des congrégations religieuses, la liberté de faire des œuvres de bienfaisance catholiques, l'assistance religieuse dans l'armée, l'assistance religieuse dans les prisons et la charité, enfin l'autorisation d'organiser des services religieux dans les maisons privées agréées par le gouvernement. Il y eu aussi plusieurs projets de réconciliation avec le Saint-Siège. Pendant l'hiver 1938, sont revenu d'exil 2000 prêtres, 1000 qui ont été établis à Barcelone pour habiter certains logements fournis par la municipalité.
Mais l'Église a surtout montré un zèle pour cacher la répression. Les chercheurs ont des difficultés pour avoir un accès à la correspondance réservée aux chefs du coup d'État et au nouveau régime, ou les rapports qui étaient envoyés tous les cinq ans à l'autorité ecclésiastique du diocèse. Ce qui est facile à comprendre car la Guerre d’Espagne s'acheva le 1er avril 1939 par la victoire des troupes franquistes, puis l'Église et l'"envoyé de Dieu, fait Caudillo" marchèrent, main dans la main, pendant quarante ans. Ensuite le mécanisme juridique répressif de Franco, activé avec la loi des responsabilités politiques de février 1939 et de la cause générale d'avril 1940, s’est servi de prêtres idéologues et politiques. Dans leurs rapports, ils approuvèrent l'extermination légale organisée par les vainqueurs après la guerre et l’Église s’impliqua dans des réseaux poussant à la vengeance, la jalousie, la haine et l'hostilité envers tout ce qui entourait la vie quotidienne de la société espagnole de base.
L'Église ne voulut rien savoir des coups, de la torture et de la mort dans les prisons. Les aumôniers de prison, un corps qui avait été dissous par la République fut restauré par Franco, et imposa la morale catholique, l'obéissance et la soumission à ceux qui furent condamnés à mort ou à de longues années d'emprisonnement. Ils étaient puissants dans les prisons à l'intérieur et à l'extérieur. Le pouvoir que leur donnait la loi leur permettait de décider, avec des critères religieux, qui devait purger ses péchés et vivre à genoux. Oublié aussi la complicité de l’Église dans le meurtre et la disparition de femmes, leur viol avant d'être abattues, ou que leurs enfants volés soient admis sous tutelle dans les centres de soins et des écoles religieuses.
Les évêques espagnols prétendent aujourd'hui que «les martyrs morts en pardonnant sont le meilleur encouragement à la réconciliation», mais la réalité est que jamais la hiérarchie catholique n'a fait le moindre acte de repentance. Les 200 000 victimes du franquisme (parmi elles se trouvent aussi des religieux) valent-elles moins que 7000 religieux tués par des anarchistes ? Sans doute pour l’Église. Elle est aussi accusée à cet égard de maintenir une «idéologie franquiste» comme le signale Hilari Raguer dans son livre La pólvora y el incienso. La Iglesia y la Guerra Civil Española (1936-1939) en 2001.
Merci !