Alan Le Bloa dans son article du jeudi 13 avril 2023 sur Ouest-France.fr nous montre que près de 250 supérieurs de congrégations religieuses réunis depuis mardi 11 avril à Paris ont voté dix-sept résolutions pour combattre les abus sexuels. À ce jour, 700 victimes se sont manifestées.
Les deux journées de préparation au vote semblaient annoncer des engagements forts. Le choix fait par la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) de laisser une large place aux témoignages de victimes, de supérieurs d’instituts concernés ou encore de personnalités engagées dans les commissions d’aide aux victimes (Édouard Durand, Ernestine Ronai, Antoine Garapon) a permis de rappeler à chacun l’ampleur du mal combattu, les participants semblant mûrs pour en découdre, dans leurs interventions comme dans leurs discussions. Malgré les 12 heures de travail quotidiennes, les discussions n’ont jamais molli. Ainsi, en toute fin de discussion, mercredi, une religieuse trouve-t-elle encore l’énergie de proposer que l’on retire une mention peu claire dans la proposition numéro 20, qui veut rendre obligatoire la communication du casier judiciaire des postulants. Malgré ces sessions denses et des prises de paroles qui avaient montré une large adhésion au processus et aux préconisations, rien n’était fait tant que le vote définitif n’avait pas eu lieu. Il restait à passer aux «actes», appelés de ses vœux par la présidente de la Corref, Véronique Margron, dès son propos introductif. Le vote de ce jeudi matin est sans appel : toutes les propositions ont été adoptées à une large majorité (très peu de non et quelques abstentions). Seules deux d’entre elles avaient été préalablement écartées du vote : celle concernant la modification de l’appellation «supérieur», qui appelle une réflexion élargie sur le sens de l’autorité et la manière de l’exercer, et celle demandant de mettre en place un délai minimum de 50 ans avant le début d’un procès en béatification, pas assez étayée (https://www.lavie.fr/christianisme/eglise/un-an-et-demi-apres-le-rapport-de-la-ciase-la-corref-sengage-dans-la-voie-de-la-reforme-87969.php).
«Ne pas, ne plus faire le malheur de celles et ceux qui vivent près de nous sans méfiance», a lancé mardi 11 avril, sœur Véronique Margron, présidente, à l’ouverture de l’assemblée de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). Tout en appelant à «un changement de culture» et des «mœurs de la vie religieuse» au sein de l’instance qui regroupe les supérieurs des congrégations et instituts religieux catholiques de France. Comment sortir du «consentement meurtrier passif», selon les mots du juge Édouard Durand, co-président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) ? Deux semaines après l’adoption de mesures par les évêques de France pour lutter contre «tous les types d’abus» et les violences sexuelles au sein des instituts, les 200 représentants présents à Paris ont épluché les propositions de bonnes pratiques soumises par cinq groupes de travail. Missionnés en novembre 2021 après la remise du rapport de la Commission indépendante sur les abus dans l’Église (Ciase), ces groupes, tous constitués de supérieurs et d’au moins une victime, ont formulé dix-sept recommandations. Mesures qui ont toutes été adoptées à une quasi-unanimité, à l’exception de propositions communes avec les groupes ayant participé aux travaux de la CEF, «reçues après le délai statutaire, et qui seront donc, si nécessaire, travaillées pour être votées lors de notre assemblée d’automne». «Le travail de Ciase et le rapport que nous avons reçu des mains de Jean-Marc Sauvé ont été déterminants. Nous avons découvert avec effroi combien nous pouvions être aveugles aux dérives, à l’emprise, aux abus faits sous nos yeux, à les minimiser, les banaliser. Sans ce regard extérieur, nous pourrions toujours douter, nous-mêmes, de la justesse des décisions que nous prenons», résume la présidente de la Corref.
Formation continue, détection des signaux, évaluation des risques, communication des peines et des dossiers des abuseurs, signalements aux procureurs, évaluation des risques au sein des congrégations, aide à la gouvernance… Pour lutter contre les abus, la Corref reconnaît la nécessité d’avoir recours à des tiers, en associant lors de visites extérieures plus régulières, un religieux d’un autre institut, une femme dans une abbaye de moines, un laïc… Elle demande en outre au Saint-Siège de «faire acte d’autorité auprès d’instituts faisant l’objet de plaintes et de graves inquiétudes», se traduisant par «des visites apostoliques, l’interdiction d’accueillir de nouvelles vocations, et une dissolution de l’institution dans les cas les plus préoccupants».
À ce jour, 700 personnes victimes d’agressions sexuelles ont saisi la Commission reconnaissance et réparation (CRR), missionnée par la Corref. Sur ce nombre, 319 demandes sont en cours d’instruction. Cette instance indépendante, présidée par Antoine Garapon, reçoit «en moyenne une demande par jour», souligne Véronique Margron. «Au regard des évaluations du nombre de victimes par la Ciase, cela signifie qu’il manque beaucoup de monde, ajoute-t-elle. Que toutes celles et ceux qui voudraient entamer un processus n’aient pas connaissance de nos instances, ou qu’une victime se dise ça que ne sert à rien d’y aller… C’est cela ma hantise. Des victimes ont témoigné et disent combien le processus avec le CRR avait été déterminant pour elles.» La CRR a recommandé 173 réparations, pour un montant moyen de 36 500 € (6.2 millions d’euros au total). Les victimes ont en majorité plus de 50 ans (92 %) et 89 % étaient mineures au moment des faits, 62 % avaient moins de 12 ans. Les violences sexuelles ont été principalement commises dans des écoles (63 %) et dans une période allant de 1950 et 1980, selon les dernières données communiquées de la CRR. 70 % de ces victimes sont des hommes, 30 % des femmes. Seuls 20 % des auteurs sont encore vivants.
«À Lourdes, il m’a semblé que le tsunami des abus s’est doucement enfoncé dans le mur de sable», a souligné Frédéric Mounier, coordinateur des groupes de travail de la Corref, évoquant l’assemblée des évêques, fin mars, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), à l’issue de laquelle un certain nombre de préconisations n’ont pas fait l’objet d’un vote en tant que tel. Comme si, poursuit-il, «le dossier des abus» avait «été comme banalisé, à l’instar de tant d’autres dossiers lourds que les évêques doivent gérer dans une immense fragilité, en hommes, en ressources tant théologiques que financières.» La Corref s’est engagée plus fermement, ce que confirment certains participants laïcs aux groupes de travail communs à la Conférence des évêques de France (CEF) et à la Corref : «on sentait que la diversité des congrégations, et leur habitude de délibération « capitulaire » les rendait aptes à nous accueillir avec nos spécificités. C’était un grand avantage du point de vue moral, mais aussi du point de vue intellectuel : pas besoin de désamorcer des réactions épidermiques, on pouvait directement aller au fond des choses. Au bout de quelques minutes d’échange, on avait déjà des discussions nuancées sur des notions relativement complexes et humainement lourdes, c’était très impressionnant !» (https://www.lavie.fr/christianisme/eglise/un-an-et-demi-apres-le-rapport-de-la-ciase-la-corref-sengage-dans-la-voie-de-la-reforme-87969.php).
Désormais, c’est à chacun des supérieurs majeurs présents de présenter ses conclusions à sa communauté. Un exercice très délicat. Comment en effet rendre compte de l’importance de l’enjeu quand les témoins ne sont plus là, comment faire digérer des dizaines de résolutions et des dizaines de pages d’analyse ? Sans parler des congrégations internationales, qui devront également porter ces sujets dans des contextes culturels très différents, où l’omerta est parfois encore de mise. Bref, le chantier sera nécessairement long voire lent, mais quelque chose a commencé qui ne pourra plus être arrêté (https://www.lavie.fr/christianisme/eglise/un-an-et-demi-apres-le-rapport-de-la-ciase-la-corref-sengage-dans-la-voie-de-la-reforme-87969.php).
Merci !